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HENRI VIII.

un océan de gloire, j’ai été trop loin. À la fin, mon orgueil, gonflé outre mesure, s’est dérobé sous moi, et il me laisse maintenant, fatigué et vieilli dans les travaux, à la merci d’un courant impétueux qui va m’engloutir pour jamais. Vaine pompe et gloire de ce monde, je vous hais ! Je sens mon cœur nouvellement ouvert. Oh ! qu’il est misérable le pauvre malheureux qui dépend de la faveur des rois ! Entre ce sourire auquel nous aspirons, ce doux regard d’un monarque et le coup dont ils nous précipitent, il y a plus de transes et d’angoisses que n’en cause la guerre et que n’en éprouvent les femmes ; et lorsqu’il tombe, il tombe comme Lucifer pour ne plus espérer jamais. (Cromwell entre d’un cair consterné.) Eh bien, Cromwell, qu’y a-t-il ? CROMWELL. — Je n’ai pas la force de parler, milord. WOLSEY. — Quoi ! confondu à la vue de mes infortunes ? Ton courage doit-il donc s’étonner de la chute d’un homme puissant ? Ah ! si vous pleurez, je suis déchu en effet. CROMWELL. — Comment se trouve Votre Grâce ? WOLSEY. — Moi ? bien. Jamais je n’ai été si véritablement heureux, mon bon Cromwell. Je me connais à présent moi-même, et je sens au dedans de moi une paix au-dessus de toutes les dignités terrestres, une conscience calme et tranquille. Le roi m’a guéri : j’en remercie humblement Sa Majesté ; il a, par pitié, ôté de dessus ces épaules, colonnes ruinées, un poids capable de faire submerger une flotte, ma trop grande élévation. Oh ! c’est un fardeau, Cromwell, un fardeau trop pesant pour un homme qui espère le ciel ! CROMWELL. — Je suis bien aise de voir que Votre Grâce ait fait un si bon usage de tout ceci. WOLSEY. — J’espère que j’en ai fait bon usage. Je pourrais maintenant, ce me semble, au courage que je sens dans mon âme, supporter plus de misères encore, et de beaucoup plus grandes misères que le lâche cour de mes ennemis ne peut oser m’en faire subir. Quelles nouvelles dans le monde ? CROMWELL. — La plus importante et la plus fâcheuse, c’est votre disgrâce auprès du roi.