Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/146

Cette page n’a pas encore été corrigée
144
HENRI VIII.

NORFOLK.—De la prudence. N’allez point attiser pour votre ennemi une fournaise si ardente que vous vous y brûliez vous-même. Un excès de vitesse peut nous emporter au delà du but, et nous faire manquer le prix de la course. Ne savez-vous pas que le feu qui élève la liqueur d’un vase jusque par-dessus les bords la perd en paraissant l’augmenter ? De la prudence je vous le répète ; il n’y a point d’homme en Angleterre plus capable de vous guider que vous-même, si vous vouliez vous servir des sucs de la raison pour éteindre ou seulement calmer le feu de la passion. BUCKINGHAM.—Je vous rends grâces et je suivrai votre conseil ; mais je sais par des informations, et des preuves aussi claires que les fontaines en juillet, quand nous y apercevons chaque grain de sable, que cet archi-insolent (et ce n’est point l’impétuosité de la bile qui me le fait nommer ainsi, mais une honnête indignation) est un traître corrompu. NORFOLK.—Ne l’appelez point traître. BUCKINGHAM.—Je l’appellerai ainsi en présence du roi même, et je soutiendrai mon allégation ferme comme un banc de roche. Écoutez-moi bien ce saint renard, ou si vous voulez, ce loup, ou tous les deux ensemble (car il est aussi féroce qu’il est subtil, aussi enclin au mal qu’habile à le faire, son cœur et son pouvoir se corrompant l’un par l’autre), n’a voulu qu’étaler son faste aux yeux de la France, comme il l’étale ici dans ce royaume, en suggérant au roi notre maître l’idée d’une entrevue qui a englouti tant de trésors, pour parvenir à un traité coûteux, et qui, comme un verre, se casse dès qu’on le rince ! NORFOLK.—J’en conviens, c’est ce qui est arrivé. BUCKINGHAM.—Je vous prie, veuillez bien m’écouter. Cet artificieux cardinal a dressé les articles du traité comme il lui a plu, et ils ont été ratifiés dès qu’il a dit : Que cela soit ; et cela pour servir tout autant que des béquilles et un mort. Mais c’est notre comte cardinal qui l’a fait, et tout est au mieux ; c’est l’ouvrage du digne Wolsey, qui ne peut jamais se tromper !—Et voici maintenant les