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Élisabeth. ― Tu l’as outragé dans le passé, et moi-même j’ai encore bien des larmes à verser dans l’avenir pour le passé rempli de tes crimes. Les enfants dont tu as massacré les parents passent une jeunesse sans conseils et sans guides qu’ils déploreront dans la suite de l’âge ; les parents dont tu as égorgé les enfants vivent aujourd’hui, plantes stériles et desséchées, pour passer leur vieillesse dans les pleurs. Ne jure point par l’avenir ; tu en as abusé avant de pouvoir en user, par le mauvais usage que tu as fait du passé.

Le roi Richard. ― Comme il est vrai que je désire prospérer, je veux tout réparer, et puissé-je à ce seul prix réussir dans l’entreprise dangereuse que je vais tenter contre mes ennemis en armes ! Que je sois moi-même l’artisan de ma ruine ! Que le ciel et la fortune ne m’accordent plus un instant de bonheur ! Jour, refuse-moi ta lumière ; nuit, refuse-moi ton doux repos : que tous les astres propices deviennent contraires à mes desseins si ce n’est pas avec l’amour le plus pur, le dévouement le plus vertueux et les pensées les plus saintes, que j’adresse mes vœux à ta belle et noble fille : c’est en elle qu’est placé mon bonheur et le tien. Sans elle, je vois tomber sur moi, sur vous, sur elle-même, sur l’Angleterre et sur une foule d’âmes chrétiennes, la mort, la désolation, la ruine et la destruction. Tous ces désastres ne peuvent être prévenus que par cet hymen : ainsi donc, chère mère (car c’est le nom qu’il faut que je vous donne), plaidez auprès d’elle la cause de mon amour ; parlez-lui de ce que je serai, et non pas de ce que j’ai été ; ne lui parlez pas de mon mérite présent, mais de celui que je veux acquérir. Insistez sur les nécessités de l’État et des temps, et ne mettez pas de maussades obstacles à de grands projets.

Élisabeth. ― Me laisserai-je donc tenter ainsi par ce démon ?

Le roi Richard. ― Oui, si ce démon vous tente pour le bien.

Élisabeth. ― Faudra-t-il m’oublier moi-même, pour me revoir ce que j’étais ?