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Ce dogue qui eut des dents avant d’ouvrir les yeux, pour déchirer les faibles agneaux, et lécher leur sang innocent ; cet odieux destructeur de l’œuvre de Dieu, ce tyran par excellence, le premier entre ceux de la terre, dont la puissance s’emploie à régner sur des yeux fatigués de larmes, c’est ton sein qui l’a déchaîné, pour nous donner la chasse jusqu’à notre tombeau. Ô Dieu juste, équitable et fidèle dispensateur ! combien je te remercie de ce que ce chien acharné dévore le fruit des entrailles de sa mère, et l’associe aux gémissements des autres !

La Duchesse.― Ô femme de Henri, ne triomphe point de mes maux ; Dieu m’est témoin que j’ai pleuré sur les tiens !

Marguerite. ― Pardonne-moi. Je suis affamée de ma vengeance, et je me repais à la contempler. Ton Édouard est mort, qui avait tué le mien ; ton autre Édouard est mort aussi pour payer mon Édouard. Le jeune York ne sert que d’appoint à la vengeance, car les deux autres ne pouvaient ensemble égaler en perfection l’excès de ma perte. Il est mort, ton Clarence qui avait poignardé mon Édouard, et avec lui les spectateurs de cette scène tragique, l’adultère Hastings, Rivers, Vaughan et Grey sont tous prématurément engloutis dans leurs ténébreux tombeaux. Richard seul est vivant, noir affidé de l’enfer, réservé comme son agent pour acheter des âmes, et les lui envoyer. Mais bientôt, bientôt approche sa fin pitoyable et qui sera vue sans pitié. La terre s’ouvre béante, l’enfer flambe, les démons rugissent, les saints prient, tous demandent qu’il disparaisse précipitamment de ce monde.― Cher Dieu, déchire, je t’en conjure, le bail de sa vie, afin que je puisse vivre assez, pour dire : Le chien est mort !

Élisabeth. ― Ah ! tu m’avais prédit qu’un temps viendrait, où j’implorerais ton secours pour m’aider à maudire cette araignée au large ventre, cet odieux crapaud bossu.

Marguerite. ― Je t’appelais alors une vaine image de ma grandeur, un pauvre fantôme, une reine en peinture,