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escamoter des bagatelles de peu de valeur. C’est aux dés et aux femmes de mauvaise vie que je dois d’être ainsi caparaçonné, et mon revenu est la menue filouterie. Les gibets et les coups sur le grand chemin sont trop forts pour moi : être battu et pendu, c’est ma terreur ; quant à la vie future, j’en perds la pensée en dormant. (Apercevant le fils du berger.) Une prise ! une prise !

(Entre le fils du berger.)

LE BERGER.—Voyons, onze béliers donnent vingt-huit livres de laine : vingt-huit livres rapportent une livre et un schelling en sus : à présent, quinze cents toisons… à combien monte le tout ?

AUTOLYCUS, à part.—Si le lacet tient, l’oison est à moi.

LE BERGER.—Je ne puis en venir à bout sans jetons.—Voyons : que vais-je acheter pour la fête de la tonte des moutons ? —Trois livres de sucre, cinq livres de raisins secs, et du riz.—Qu’est-ce que ma sœur veut faire du riz ? —Mais mon père l’a faite souveraine de la fête, et elle sait à quoi il est bon. Elle m’a fait vingt-quatre bouquets pour les tondeurs, tous chanteurs à trois parties, et de fort bons chanteurs : mais la plupart sont des ténors et des basses-tailles ; il n’y a parmi eux qu’un puritain qui chante des psaumes sur des airs de bourrées. Il faut que j’aie du safran pour colorer des gâteaux, du macis, des dattes, point… je ne connais pas cela ; des noix muscades, sept ; une ou deux racines de gingembre ; mais je pourrais demander cela. Quatre livres de pruneaux et autant de raisins séchés au soleil.

AUTOLYCUS, poussant un gémissement et étendu sur la terre.—Ah ! faut-il que je sois né !

LE BERGER.—Merci de moi…

AUTOLYCUS.—Oh ! à mon secours ! à mon secours ! Ôtez-moi ces haillons, et après, la mort, la mort !

LE BERGER.—Hélas ! pauvre homme, tu aurais besoin d’autres haillons pour te couvrir, au lieu d’ôter ceux que tu as.

AUTOLYCUS.—Ah ! monsieur, leur malpropreté me fait plus souffrir que les coups de fouet que j’ai reçus ; et j’en ai pourtant reçu de bien rudes, et par millions.