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me jures que tu es honnête. Eh bien, si tu étais poëte, je pourrais avoir quelque espoir que tu feins.

AUDREY.—Est-ce que vous voudriez que je ne fusse pas honnête ?

TOUCHSTONE.—Non vraiment, à moins que tu ne fusses laide ; car l’honnêteté accouplée avec la beauté, c’est une sauce au miel pour du sucre.

JACQUES, à part.—Quel fou encombré de science !

AUDREY.—Eh bien ! je ne suis pas jolie ; ainsi je prie les dieux de me rendre honnête.

TOUCHSTONE.—Mais vraiment, donner de l’honnêteté à une vilaine laideron, c’est mettre un bon mets dans un plat sale.

AUDREY.—Je ne suis point vilaine, quoique je remercie les dieux d’être laide.

TOUCHSTONE—Très-bien, que les dieux soient loués de ta laideur ! viendra ensuite le tour au reste. Qu’il en soit ce qu’on voudra, je veux t’épouser ; et pour cela, j’ai vu sir Olivier Mar-Text[1], vicaire du village voisin, lequel m’a promis de se trouver dans cet endroit de la forêt, et de nous unir.

JACQUES, à part.—Je serais bien charmé de voir cette rencontre.

AUDREY.—Eh bien ! que les dieux nous donnent la joie !

TOUCHSTONE.—Ainsi soit-il ! Je fais là une entreprise capable de faire reculer un homme qui aurait le cœur timide ; car nous n’avons ici d’autre temple que le bois, d’autre assemblée que celle des bêtes à cornes. Mais qu’est-ce que cela fait ? Courage ; si les cornes sont odieuses, elles sont nécessaires. On dit que bien des hommes ne connaissent pas l’avantage de ce qu’ils possèdent, c’est vrai.—Bien des maris en ont de bonnes et belles, et n’en connaissent pas la propriété. Eh bien ! c’est le douaire de leurs femmes ; ce n’est pas un bien qui soit des acquêts du mari.—Des cornes ! Oui, des cornes.—N’y a-t-il que les pauvres gens qui en aient ? Non, non. Le plus noble cerf les porte aussi grandes que

  1. Mar-Text, gâte-texte.