Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 7.djvu/226

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suis sûr que je ne serais pas long à sauter sur elle : ou bien, s’il était question de combattre pour ma maîtresse, ou de faire volter mon cheval pour obtenir ses faveurs, je me sens en état de m’en tirer aussi bien que le plus hardi, et de me tenir en selle comme un singe. Mais sur mon Dieu, Catherine, je n’entends rien à faire les yeux doux, ni à débiter avec grâce mon éloquence, et je ne sais mettre aucun art dans mes protestations : je ne sais faire que des serments tout ronds, que je ne profère jamais que je n’y sois forcé, mais aussi qu’on ne peut jamais me forcer de violer. Si tu te sens capable, Catherine, d’aimer un cavalier de cette trempe, dont la figure ne craint plus le hâle, qui ne se regarde jamais dans un miroir, pour le plaisir de s’y voir, allons, qu’un coup d’œil déclare ton choix. Je te parle en soldat : si cette franchise peut t’engager à m’aimer, accepte-moi ; sinon, quand je te dirai que je mourrai, cela sera bien vrai un jour ; mais que je mourrai d’amour pour toi, pardieu, je mentirais ; et cependant je t’aime bien : et tant que tu vivras, chère Catherine, souviens-toi de prendre un époux d’une trempe d’amour toute brute et sans artifice ; car alors il faut, de toute nécessité, qu’il te rende ce qui t’appartient, attendu qu’il n’a pas le don d’aller faire sa cour ailleurs. Il est de beaux diseurs, dont la langue ne tarit jamais, et qui ont le talent d’attraper avec des rimes les faveurs des dames ; mais leurs beaux discours les en privent bientôt. Après tout, qu’est-ce qu’un beau parleur ? un bavard. Les vers ? une ballade. Une bonne jambe peut se casser, un dos bien droit se courbera, une barbe bien noire blanchira un jour, une tête bien frisée deviendra chauve, une belle figure se fanera, un œil bien saillant se creusera ; mais un bon cœur, Catherine, vaut le soleil et la lune, ou plutôt le soleil et non la lune : car ce cœur brille toujours et ne change jamais dans son cours invariable. Si tu veux un cœur de cette trempe, prends le mien, prends un soldat, prends un roi. Eh bien, que réponds-tu à présent à mon amour ? Parlez, ma belle ; et avec franchise, je vous en conjure.