Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 7.djvu/190

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dans une bataille, se rejoindront au jour du jugement, et lui crieront : Nous sommes morts à tel endroit. Les uns en jurant, d’autres en implorant un chirurgien, d’autres laissant leurs pauvres femmes derrière eux, d’autres sans payer leurs dettes, d’autres laissant leurs enfants orphelins et nus. J’ai grand’peur encore qu’il y en ait bien peu qui meurent bien, de tous ceux qui sont tués dans une bataille ; car enfin, comment peuvent-ils disposer charitablement de quelque chose, quand ils n’ont que le sang en vue ? Or, si ces gens-là ne meurent pas bien, ce sera une mauvaise affaire pour le roi qui les aura conduits là, puisque lui désobéir serait contre tous les devoirs d’un sujet.

Le roi. — Ainsi donc, si un fils que son père envoie faire négoce se corrompt sur la mer, et manque l’objet de sa mission, son crime, suivant votre règle, doit retomber sur son père qui l’a envoyé ; ou bien encore, si un domestique, qui par ordre de son maître, portant une somme d’argent, est attaqué par des voleurs, meurt chargé d’un amas d’iniquités, vous accuserez le maître d’être l’auteur de la damnation de son domestique ? Mais il n’en est pas ainsi. Le roi n’est pas obligé de répondre des fautes personnelles et particulières de ses soldats, non plus que le père de celles de son fils, ni le maître de celles de son domestique : car il ne projette nullement leur mort quand il exige leur service. De plus, il n’est point de roi, quelque bonne que puisse être sa cause, qui puisse se flatter, lorsqu’il en faut venir à la décider par les armes, de la disputer avec une armée de soldats sans tache et sans reproche. Il y en aura peut-être parmi eux qui seront coupables d’avoir comploté quelque meurtre ; d’autres, d’avoir séduit quelques vierges innocentes par un odieux parjure ; d’autres se seront servis du prétexte de la guerre pour se mettre à l’abri des poursuites de la justice, après avoir troublé la paix publique par leurs brigandages et leurs vols. Or, si ces sortes de gens ont su tromper la vigilance des lois, et se soustraire à la punition qui leur était due, quoiqu’ils puissent se sauver des mains des hommes, ils