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NOTICE SUR HENRI V



C’est à tort que la plupart des critiques ont regardé Henri V comme l’un des plus faibles ouvrages de Shakspeare. Le cinquième acte, il est vrai, est vide et froid, et les conversations qui le remplissent ont aussi peu de mérite poétique que d’intérêt dramatique. Mais la marche des quatre premiers actes est simple, rapide, animée ; les événements de l’histoire, plans de gouvernement ou de conquête, complots, négociations, guerres, s’y transforment sans effort en scènes de théâtre pleines de vie et d’effet ; si les caractères sont peu développés, ils sont bien dessinés et bien soutenus ; et le double génie de Shakspeare, moraliste profond et poëte brillant, même dans les formes pénibles et bizarres qu’il donne à sa pensée et à son imagination, y conserve son abondance et son éclat.

On rencontre aussi, dans les paroles du chœur qui remplit les entr’actes, des preuves remarquables du bon sens de Shakspeare et de l’instinct qui lui faisait sentir les inconvénients de son système dramatique : « Permettez, dit-il aux spectateurs dès le début de la pièce, que nous fassions travailler la force de votre imagination…. C’est à votre pensée à créer en ce moment nos rois pour les transporter d’un lieu à l’autre, franchissant les temps et resserrant les événements de plusieurs années dans l’espace d’une heure. » Et ailleurs : « Accordez-nous votre patience et pardonnez l’abus du changement de lieu auquel nous sommes réduits pour resserrer la pièce dans son cadre. »

La partie populaire et comique du drame, bien que la verve originale de Falstaff n’y soit plus, offre des scènes d’une gaieté parfaitement naturelle, et le Gallois Fluellen est un modèle de ce bavardage militaire sérieux, naïf, intarissable, inattendu et moqueur, qui excite en même temps le rire et la sympathie.