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ACTE III


Scène I

Une bruyère. On entend le bruit d’un orage accompagné de tonnerre et d’éclairs. Kent et un gentilhomme se rencontrant.

Kent. – Qui est ici malgré le mauvais temps ?

Le gentilhomme. – Un homme dont l’âme est, comme le temps, pleine d’agitation.

Kent. – Ah ! je vous reconnais. Où est le roi ?

Le gentilhomme. – Luttant contre les éléments irrités, il conjure les vents de précipiter la terre dans les flots, ou de soulever les vagues gonflées au-dessus de leurs rivages, afin que les choses changent ou s’anéantissent. Il arrache ses cheveux blancs que les tourbillons impétueux, dans leur aveugle rage, saisissent et font aussitôt disparaître. De toutes les forces de cet étroit univers renfermé en lui-même, il insulte aux vents et à la pluie qui se combattent dans tous les sens. Dans cette nuit horrible où l’ourse même, épuisée de lait par ses petits, demeure dans sa tanière ; où le lion et le loup, au ventre vide, tiennent leur fourrure à sec, il court tête nue, et appelle toutes les chances de la mort.

Kent. – Mais qui est avec lui ?

Le gentilhomme. – Personne que son fou, qui tâche, par des bouffonneries, de distraire son cœur navré d’injures.

Kent. – Je vous connais, monsieur, et, sur la foi de mon discernement, j’ose vous confier une affaire d’un bien cher intérêt. Il y a de la mésintelligence entre les ducs d’Albanie et de Cornouailles, quoiqu’elle se cache