Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/50

Cette page n’a pas encore été corrigée

chiffre ! — Monseigneur, laissez-moi faire ; je vais piler en mortier ce sale vilain, et j’en replâtrerai les murs d’un cabinet – Épargner ma barbe grise ! toi, espèce de pierrot ?

Cornouailles. – Paix, insolent. Brutal coquin, ne savez-vous pas le respect…

Kent. – Si fait, seigneur ; mais la colère a ses priviléges.

Cornouailles. – Et pourquoi es-tu en colère ?

Kent. – De ce qu’un misérable comme celui-là a une épée quand il n’a pas d’honneur. Ces drôles à la face riante, semblables aux rats, rongent les saints nœuds qui sont serrés pour les pouvoir délier ; ils caressent toutes les passions révoltées dans le cœur de leurs maîtres ; ils apportent au feu de l’huile, de la neige aux froideurs glacées ; ils renient, affirment, et tournent leur bec d’alcyon à tous les vents et à toutes les variations de l’humeur de leurs maîtres, n’ayant, comme le chien, d’autre instinct que de suivre – La peste sur ton visage d’épileptique ! Penses-tu rire de mes discours comme de ceux d’un fou ? Oison que tu es, si je te tenais dans la plaine de Sarum, je te ramènerais devant moi en criant jusqu’aux marais de Camelot.

Cornouailles. – Eh quoi ! es-tu fou, vieux bonhomme ?

Glocester. – Comment s’est élevée cette querelle ? Explique-toi ?

Kent. – Il n’y a pas plus d’antipathie entre les contraires qu’entre moi et ce coquin.

Cornouailles. – Pourquoi l’appelles-tu coquin ? quel est son crime ?

Kent. – Sa figure ne me plaît pas.

Cornouailles. – Ni la mienne peut-être, ni celle de Glocester et de Régane ?

Kent. – Seigneur, je fais profession d’être un homme tout uni : j’ai vu dans mon temps de meilleures figures que je n’en vois sur les épaules actuellement devant mes yeux.

Cornouailles. – Ce sera quelque gaillard qui, loué une fois pour la rondeur de ses manières, a depuis affecté une insolente rudesse, et qui se force à un personnage