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Cléon : Je serais le souverain de tout l’univers que je le donnerais pour que ce crime n’eût pas été commis. Ô jeune princesse, moins grande par la naissance que par la vertu, il n’était pas de couronne qui ne fût digne de toi ! Ô lâche Léonin, que tu as aussi empoisonné ! Si tu avais avalé pour lui le poison, c’eût été un exploit comparable aux autres. Que diras-tu quand le noble Périclès réclamera sa fille ?

Dionysa : Qu’elle est morte. Les destins n’avaient pas juré de la conserver : elle est morte la nuit. Je le dirai ; qui me contredira ? à moins que vous n’ayez la simplicité de me trahir, et, pour mériter un titre de vertu, de crier : Elle a été égorgée.

Cléon : Ô malheureuse ! de tous les crimes, c’est celui que les dieux abhorrent le plus.

Dionysa : Croyez-vous que les petits oiseaux de Tharse vont voler ici et tout découvrir à Périclès ? J’ai honte de penser à la noblesse de votre race et à la timidité de votre cœur.

Cléon : Celui qui approuva jamais de telles actions, même sans y avoir consenti, ne fut jamais d’un noble sang.

Dionysa : Ah ! bien, soit. Mais personne, excepté vous, ne sait comment elle est morte ; personne ne le saura, Léonin ayant cessé de vivre. Elle dédaignait ma fille ; elle était un obstacle à son bonheur. Nul ne la regardait ; tous les yeux étaient fixés sur Marina, tandis que notre enfant était négligée comme une pauvre fille qui ne valait pas la peine d’un bonjour. Cela me perçait le cœur ; et quoique vous traitiez mon action de dénaturée, vous qui n’aimez pas votre enfant, moi je la crois bonne et généreuse, et un sacrifice fait à notre fille unique.

Cléon : Que les dieux vous pardonnent !

Dionysa : Et quant à Périclès, que pourra-t-il dire ? nous avons pleuré à ses funérailles, et nous portons encore le deuil. Son monument est presque fini, et ses épitaphes en lettres d’or attestent son grand mérite, et notre douleur à nous, qui l’avons fait ensevelir, à nos frais.

Cléon : Tu es comme la Harpie qui, pour trahir, porte