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hélas, le brave seigneur ! C’est un noble gentilhomme, s’il ne tenait pas un si grand état de maison. Cent fois j’ai dîné chez lui, et je lui en ai dit ma pensée. Je suis même retourné souper chez lui, exprès pour l’avertir de diminuer sa dépense mais il n’a jamais voulu suivre mes conseils, et mes visites n’ont pu le corriger. Chaque homme a son défaut, et le sien est la libéralité ; c’est ce que je lui ai répété souvent ; mais je n’ai jamais pu le tirer de là.

(Entre un esclave qui apporte du vin.)

L’ESCLAVE.—Seigneur, voilà le vin.

LUCULLUS.—Flaminius, je t’ai toujours remarqué pour un homme sage ; tiens, à ta santé.

FLAMINIUS.—Votre Grandeur veut plaisanter.

LUCULLUS.—Non, je te rends justice. J’ai toujours reconnu en toi un esprit souple et actif ; tu sais juger ce qui est raisonnable et quand il se présente une bonne occasion, tu sais la saisir et en tirer bon parti. Tu as d’excellentes qualités. — (À l’esclave.) Vas-t’en, maraud ; approche, honnête Flaminius. Ton maître est un seigneur plein de bonté ; mais tu as du jugement, et quoique tu sois venu me trouver, tu sais trop bien que ce n’est pas le moment de prêter de l’argent, surtout sur la simple parole de l’amitié, et sans aucune sûreté. Tiens, mon enfant, voilà trois solidaires[1] pour toi mon garçon, ferme les yeux sur moi, et dis que tu ne m’as pas vu ; porte-toi bien.

FLAMINIUS. Est-il possible que les hommes soient si différents d’eux-mêmes, et que nous soyons maintenant ce que nous étions tout à l’heure ! Loin de moi, maudite bassesse, retourne vers celui qui t’adore.

(Il jette l’argent qu’il a reçu.)

LUCULLUS. Ah je vois maintenant que tu es un sot, et bien digne de ton maître…

(II sort.)

FLAMINIUS. Puissent ces pièces d’argent être ajoutées

  1. « Je crois que cette monnaie est de l’invention du poëte. »
    (STEEVENS.)