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SUR ROMÈO ET JULIETTE. 2T5

même que les grands poëtes i at ens du XIVe siècle, Pétrarque surtout, introduisent souvent autant de recherche et de subtilité que d’élévation et de grâce ; ils altèrent et transforment, selon leurs croyances religieuses et morales, ou même selon leurs goûts littéraires, ces instincts et ces passions du cœur humain auxquels Shakspeare laisse leur physionomie et leur liberté natives. Quoi de moins semblable que l’amour de Pétrarque pour Laure et celui de Juliette pour Roméo ? En revanche, l’expression, dans Pétrarque, est presque toujours aussi naturelle que le sentiment est raffiné et tandis que Shakspeare présente, sous une forme étrange et affectée, des émotions parfaitement simples et vraies, Pétrarque prête à des émotions mystiques, ou du moins singulières et très-contenues, tout le charme d’une forme simple et pure.

Je veux citer un seul exemple de cette différence entre les deux poëtes, mais un exemple bien frappant, car c’est sur la même si- !uation, le même sentiment, presque sur la même image que, dans cette occasion, ils se sont exercés l’un et l’autre.

Laure est morte. Pétrarque veut peindre, à son entrée dans le sommeil de la mort, celle qu’il a peinte, si souvent et avec tant de passion charmante, dans l’éclat de la vie et de la jeunesse :

Non corne fiamma che per forza è spenta,

Ma che per se medesma si consume,

Sen’ andè in pace l’anima contenta,

A guisa d’un soave e chiaro lume,

Cui nutrimento a poco a poco manca,

Tenendo al fin il suo usato costume.

Pallida nô, ma più che neve bianca

Che senza vento in un bel colle fiocchi,

Parea posar come persona stanca.

Quasi un dolce dormir né suoi begli occhi,

Sendo lo spirto già da lei diviso,

Era quel che morir chiaman gli schiocchi.

Morte belia parea nel suo bel viso 1.

« Comme un flambeau qui n’est pas éteint violemment, mais qui se consume de lui-même, son âme sereine s’en alla en paix, semblable à une lumière claire et douce à qui l’aliment manque peu à peu, et qui garde jusqu’à la fin son apparence accoutumée. Elle n’était point pâle, mais, plus blanche que la neige qui tombe à flocons, sans un souille de vent, sur une gracieuse colline, elle semblait se reposer, comme une personne fatiguée. L’esprit s’étant déjà séparé d’elle, ses 1 Rime di Petrarca, Trionfo della morte, c. I.