Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu/277

Cette page n’a pas encore été corrigée

274 NOTICE

Passez maintenant du fond à la forme et du sentiment même au langage que lui prête le poëte quel contraste Autant le sentiment est vrai et profondément connu et compris, autant l’expression en en souvent factice, chargée de développements et d’ornements où se complaît l’esprit du poëte, mais qui ne se placent point naturellement dans la bouche du personnage. Roméo et Julielte est peut-être même, entre les grandes pièces de Shakspeare, celle où ce défaut abonde le plus. On dirait que Shakspeare a voulu imiter ce luxe de paroles, cette facilité verheuse qui, dans la littérature comme dans la vie, caractérisent en général les peuples du midi il avait certainement lu, du moins dans les traductions, quelques poëtes italiens ; et les innombrable subtilités dont le langage de tous les personnages de Roméo et Jalielle est, pour ainsi dire, tissu, les continuelles comparaisons avec le soleil, les fleurs et les étoiles, quoique souvent brillantes et gracieuses, sont évidemment une imitation du style des sonnets et une dette payée à la couleur-locale. C’est peut-être parce que les sonnets italiens sont presque toujours sur le ton plaintif que la recherche et l’exagération de langage se font particulièrement sentir dans les plaintes des deux amants ; l’expression de leur court bonheur est, surtout dans la bouche de Juliette, d’une simplicité ravissante et quand ils arrivent au terme extrême de leur destinée, quand le poëte entre dans la dernière scène de cette douloureuse tragédie, alors il renonce à toutes ses velléités d’imitation, à toutes ses réflexions spirituellement savantes ses personnages, à qui, dit Johnson, a il a toujours laissé un concetti dans leur misère, » n’en retrouvent plus dès que la misère a frappé ses grands coups l’imag : nation cesse de se jouer ; la passion elle-même ne se monstre plus qu’en s’unissant à des sentiments solides, graves, presque sévères ; et cette amante si avide des joies de l’amour, Juliette, menacée dans sa fidélité conjugale, ne songe plus qu’à remplir ses devoirs et à conserver sans tache l’épouse de son cher Roméo. Admirable trait de sens moral et de bon sens dans le génie adonné à peindre la passion

Du reste, Shakspeare se trompait lorsqu’en prodiguant les réflexions, les images et les paroles, il croyait imiter l’Italie et ses poëtes. Il n’imitait pas du moins les maîtres de la poésie italienne, ses pareils, les seuls qui méritassent ses regards. Entre eux et lui, la différence est immense et singulière c’est par l’intelligence des sentiments naturels que Shakspeare excelle ; il les peint aussi vrais et aussi simples, au fond, qu’il leur prête d’affectation et quet quefois de bizarrerie dans le langage ; c’est au contraire dans les sentiments