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APÉMANTUS. — Oh ! oh ! je ris en pensant que ce nouveau-né est un bâtard.

TROISIÈME SEIGNEUR. — Je vous proteste, seigneur, que vous m’avez beaucoup ému.

APÉMANTUS. — Beaucoup.

(Son de trompette.)

TIMON. — Qu’annonce cette trompette ? qu’y a-t-il ?

(Entre un serviteur.)

LE SERVITEUR. — Sauf votre bon plaisir, seigneur, il y a là des dames qui demandent à entrer.

TIMON. — Des dames ? que désirent-elles ?

LE SERVITEUR. — Elles ont avec elles un courrier qui est chargé d’annoncer leurs intentions.

TIMON. — Je vous en prie, faites-les entrer.

(Entre Cupidon.)

CUPIDON. — Salut à toi, généreux Timon, et à tous ceux qui jouissent ici de tes bienfaits. Les Cinq Sens te reconnaissent pour leur patron, et viennent librement te féliciter de ton généreux cœur. L’Ouïe, le Goût, le Toucher, l’Odorat, se lèvent tous satisfaits de ta table : ils ne viennent dans ce moment que pour réjouir tes yeux.

TIMON. — Ils sont tous les bienvenus. Qu’on leur fasse bon accueil. Allons, que la musique célèbre leur entrée.

(Cupidon sort.)

PREMIER SEIGNEUR. — Vous voyez, seigneur, à quel point vous êtes aimé.

(Musique. Rentre Cupidon avec une mascarade de dames en amazones, dansant et jouant du luth.)

APÉMANTUS. — Holà ! quel flot de vanité arrive ici ! elles dansent ;… ce sont des femmes folles ! La gloire de cette vie est une folie semblable, comme le prouve toute cette pompe comparée à ce peu d’huile et à ces racines. Nous nous faisons fous pour nous amuser, et prodigues de flatteries nous buvons à ces hommes, sur la vieillesse desquels nous verserons un jour le poison de l’envie et du mépris. Quel homme respire, qui ne corrompe ou ne soit corrompu ? quel homme expire, qui n’emporte au tombeau quelque outrage, don de ses amis ? Je craindrais bien que ceux qui dansent là devant moi ne fussent les premiers à me fouler un jour sous leurs pieds. C’est ce