le poète. — Je ne vous ai pas vu depuis longtemps : comment va le monde ?
le peintre. — Il s’use, monsieur, en vieillissant.
le poète. — Oui on sait cela : mais y a-t-il quelque rareté particulière ? qu’y a-t-il d’étrange et dont l’histoire ne donne d’exemple ? — Vois, ô magie de la générosité ! c’est ton charme puissant qui évoque ici tous ces esprits ! — Je connais ce marchand.
le peintre. — Et moi, je les connais tous deux : l’autre est un joaillier.
le marchand. — Oh ! c’est un digne seigneur.
le joaillier. — Oui, cela est incontestable.
le marchand. — Un homme incomparable, animé, à ce qu’il semble, d’une bonté infatigable et soutenue. Il va au delà des bornes.
le joaillier. — J’ai ici un joyau.
le marchand. — Oh ! je vous prie, voyons-le : pour le seigneur Timon, monsieur ?
le joaillier. — S’il veut en donner le prix : mais, quant à cela…
le poète, occupé à lire ses ouvrages. — « Quand l’appât d’un salaire nous a fait louer l’homme vil, c’est une tache qui flétrit la gloire des beaux vers consacrés avec justice à l’homme de bien. »
le marchand, considérant le diamant. — La forme est belle.
le joaillier. — Est-ce un riche bijou ? voyez-vous la belle eau ?
le peintre, au poëte. — Vous êtes plongé, monsieur, dans la composition de quelque ouvrage ? Quelque dédicace au grand Timon ?
le poète. — C’est une chose qui m’est échappée sans y penser : notre poésie est comme une gomme qui coule de l’arbre qui la nourrit. Le feu caché dans le caillou ne se montre que lorsqu’il est frappé ; mais notre noble flamme s’allume elle-même, et, comme le torrent, franchit chaque digue dont la résistance l’irrite. Qu’avez-vous là ?
le peintre. — Un tableau, monsieur. — Et quand votre livre paraît-il ?