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Lui dirai-je de s’en aller ?

LE BOUFFON.--Et quand vous le feriez ?

SIR TOBIE.--Lui dirai-je de s’en aller, sans le ménager ?

LE BOUFFON.--Oh ! non, non, vous n’oseriez.

SIR TOBIE.--Vous détonnez, l’ami ; vous mentez.--Êtes-vous plus qu’un
intendant ? Croyez-vous que, parce que vous êtes vertueux[39], il n’y
aura plus ni gâteaux, ni bière ?
[Note 39 : C’était la coutume de faire des gâteaux en famille à la
Toussaint. Les puritains traitaient cette coutume de superstition.]

LE BOUFFON.--Oui, par sainte Anne, et le gingembre aussi sera chaud dans
la bouche.

SIR TOBIE.--Tu as raison.--Allez, monsieur, allez frotter votre chaîne
avec de la mie de pain[40]. Un flacon de vin, Marie !

[Note 40 : « Les intendants ou maîtres d’hôtel portaient au cou une chaîne
en signe de supériorité sur les autres domestiques ; et le meilleur moyen
d’éclaircir un métal, c’est de le frotter avec de la mie de pain. »
(STEEVENS.)]

MALVOLIO.--Mademoiselle Marie, si vous faisiez quelque cas de la faveur
de ma maîtresse, vous ne voudriez pas prêter les mains à cette conduite
grossière ; ma maîtresse en sera informée, je vous le jure.

(Il sort.)

MARIE.--Va secouer les oreilles.

SIR ANDRÉ.--Lui donner un rendez-vous en duel, et puis lui manquer de
parole et se jouer de lui, ce serait une aussi bonne œuvre que de boire
quand on a faim.

SIR TOBIE.--Faites cela, chevalier. Je vais vous écrire un cartel ou je
lui ferai connaître de vive voix votre indignation contre lui.

MARIE.--Mon cher sir Tobie, soyez patient pour ce soir ; depuis que
le jeune page du comte a vu aujourd’hui ma maîtresse, elle est fort
troublée. Quant à monsieur Malvolio, laissez-moi faire : si je ne le
mystifie pas au point de le faire passer en proverbe, et de le rendre un
objet de risée publique, croyez que je n’ai pas assez d’esprit pour me
coucher tout à l’heure dans mon lit ; je sais que je suis en état de le
faire.