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ANTONIO.--Hélas ! funeste jour !

SÉBASTIEN.--Une jeune personne, monsieur, qui, quoiqu’on dît qu’elle me
ressemblait beaucoup, passait pour belle aux yeux de beaucoup de gens.
Il ne me convient pas à moi d’oser avoir d’elle une aussi haute idée que
les autres ; mais du moins puis-je assurer hardiment qu’elle portait
une âme que l’envie même était forcée de dire belle. Elle est noyée,
monsieur, dans l’eau salée, et il me semble que je vais encore y noyer
son souvenir.

ANTONIO.--Excusez-moi, monsieur, de la mauvaise chère que je vous ai
fait faire.

SÉBASTIEN.--Cher Antonio, c’est moi qui vous prie de me pardonner
l’embarras que je vous ai causé.

ANTONIO.--Si, pour prix de mon amitié, vous ne voulez pas me tuer,
permettez-moi d’être votre serviteur.

SÉBASTIEN.--Si vous ne voulez pas détruire votre ouvrage, je veux dire,
tuer celui que vous avez sauvé, n’exigez pas cela de moi. Adieu, en un
mot : mon cœur est plein de reconnaissance ; et je suis encore si près
d’avoir les manières de ma mère, qu’un peu plus et mes yeux vont me
trahir. Je vais à la cour du comte Orsino : adieu.

(Il sort.)

ANTONIO.--Que la bonté de tous les dieux ensemble accompagne tes pas !
J’ai beaucoup d’ennemis à la cour d’Orsino ; sans cela, je ne tarderais
pas à t’y revoir.--Mais, advienne que pourra, je t’adore tant, que pour
toi tous les dangers me sembleront un jeu, et je veux y aller.

(Il sort.)

SCÈNE II
Une rue.

VIOLA entre, MALVOLIO la suit.

MALVOLIO.--N’étiez-vous pas, il y a un moment, avec la comtesse Olivia ?

VIOLA.--À l’instant même, monsieur ; en marchant d’un pas ordinaire je ne
suis encore arrivé qu’ici.