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dit.

VIOLA.--Si je vous aimais de toute la passion de mon maître, si je
souffrais comme il souffre, si ma vie était une mort, je ne trouverais
aucun sens dans votre refus, et je ne le comprendrais pas.

OLIVIA.--Eh ! que feriez-vous ?

VIOLA.--Je me bâtirais une cabane de saule[28] à votre porte, et j’irais
voir mon âme dans sa demeure ; je composerais des chants loyaux sur
l’amour méprisé, et je les chanterais de toute ma voix même au milieu de
la nuit ; je crierais votre nom aux collines qui le répercuteraient, et
je forcerais la babillarde commère de l’air à répéter Olivia ! Oh ! vous
ne pourriez trouver de repos entre les éléments de l’air et de la terre,
que vous n’eussiez eu pitié de moi.

[Note 28 : Arbre de la mélancolie et des amants.]

OLIVIA.--Vous pourriez faire beaucoup de choses ! Quelle est votre
parenté ?

VIOLA.--Au-dessus de ma fortune ; et cependant ma fortune est suffisante :
je suis gentilhomme.

OLIVIA.--Retournez vers votre maître : je ne puis l’aimer ; qu’il n’envoie
plus chez moi ; à moins que, par hasard, vous ne reveniez encore, pour me
dire comment il prend la chose. Adieu ! je vous remercie de vos peines ;
dépensez ceci pour l’amour de moi.

VIOLA.--Je ne suis point un messager à gages, madame : gardez votre
bourse ; c’est mon maître, et non pas moi, qui a besoin de récompense.
Puisse l’amour changer en pierre le cœur de celui que vous aimerez ; et
que votre ardeur, comme celle de mon maître, ne rencontre que le mépris !
Adieu, beauté cruelle.

(Elle sort.)

OLIVIA.--Quelle est votre parenté ? --Au-dessus de ma fortune,
répond-il, et pourtant ma fortune est suffisante.--Je suis
gentilhomme. Oui, je le jurerais, que tu l’es en effet. Ton langage, ta
physionomie, ta tournure, tes actions et tes sentiments te donnent dix
fois des armoiries.--N’allons pas trop vite.--Doucement, doucement ! Si
le maître était le serviteur ! Allons donc ! --Com