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ACTE IV, SCÈNE I.

et de sang ; depuis que je te vois, mes douleurs intellectuelles se calment, et je respire de la démence qui, je le crains, m’avait saisi : tout cela, si ce n’est point un songe, suppose d’étranges événements. Je résigne mes droits sur ton duché, et te supplie de me pardonner mes torts. Mais comment se fait-il que Prospéro vive et soit ici ?

PROSPÉRO, à Gonzalve.

Permets-moi d’embrasser ta vieillesse, noble ami, dont je ne saurais assez honorer la vertu.

GONZALVE.

Si tout cela est ou n’est pas réel, c’est ce que je ne voudrais pas jurer.

PROSPÉRO.

Tu es encore sous l’influence des enchantements de cette île, qui t’empêchent de croire à la réalité des objets. (Aux Seigneurs napolitains.) Soyez tous les bienvenus, mes amis. {Bas, à Sébastien et à Antonio.) Quant à vous deux, messeigneurs, si je voulais, je rabattrais bientôt cette hautaine insolence peinte sur vos fronts, et démasquerais en vous des traîtres ; pour le moment, je ne dirai rien.

SÉBASTIEN, à part.

C’est le diable qui parle en lui.

PROSPÉRO, à Sébastien.

Non. (À Antonio.) Pour toi, mortel pervers, que je n’appellerai pas mon frère, car ma bouche en serait infectée, je te pardonne ton crime le plus noir ; je te les pardonne tous, et réclame de toi mon duché, que tu seras, je le sais, forcé de me restituer.

ALONZO.

Si tu es Prospéro, raconte-nous les détails de ta délivrance ; dis-nous comment il se fait que tu nous aies rencontré dans cette île où, il y a trois heures, nous avons été jetés par un naufrage dans lequel (déchirant souvenir !) j’ai perdu mon fils Ferdinand.

PROSPÉRO.

J’en suis affligé, seigneur.

ALONZO.

C’est une perte irréparable, et la Patience me dit que ses remèdes n’y peuvent rien.

PROSPÉRO.

Je pense, au contraire, que vous n’avez point cherché son aide souverain ; je l’ai imploré pour une perte semblable, et elle m’a consolé.

ALONZO.

Vous, une perte semblable ?

PROSPÉRO.

Aussi grande pour moi, aussi récente que la vôtre ; et pour m’aider à supporter un coup aussi douloureux, j’ai des ressources bien plus faibles que celles que vous pouvez appeler à votre aide. J’ai perdu ma fille !

ALONZO.

Votre fille ! ô ciel ! Que ne sont-ils tous deux vi-