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LA TEMPÊTE.

sont maintenant aussi frais que lorsque nous étions à Tunis, au mariage de votre fille, qui est aujourd’hui reine.

ANTONIO.

Et la plus merveilleuse qui ait jamais régné dans ce pays.

SÉBASTIEN.

À l’exception, je vous prie, de la veuve Didon.

ANTONIO.

Oh ! la veuve Didon ! la veuve Didon !

GONZALVE.

Mon juste-au-corps, seigneur, n’est-il pas aussi frais que le jour où je l’ai porté pour la première fois, je veux dire jusqu’à un certain point ?

ANTONIO.

Ce jusqu’à un certain point vient là fort à propos.

GONZALVE.

N’est-il pas aussi frais que le jour du mariage de votre fille ?

ALONZO.

Les paroles que vous forcez mon oreille à entendre, mon cœur les repousse. Plût au ciel que je n’eusse jamais marié ma fille à Tunis ! Car à mon retour d’Afrique j’ai perdu mon fils ; et, dans ma pensée, ma fille aussi est perdue pour moi ; elle est si loin de l’Italie !… je ne la reverrai jamais. Ô mon fils ! toi, l’héritier de Naples et de Milan, à quel monstre des mers as-tu servi de pâture ?

FRANCISCO.

Seigneur, il se peut qu’il vive encore ; je l’ai vu refouler les vagues sous lui, et se tenir à cheval sur leur croupe ; écartant à droite et à gauche les flots ennemis, il présentait sa poitrine à la lame menaçante ; sa tête hardie s’élevait au-dessus des vagues orageuses, et ses bras vigoureux, pareils à deux rames, lui frayaient un passage jusqu’au rivage, qui semblait s’incliner sur sa base battue des flots et se baisser pour lui venir en aide ; je ne doute pas qu’il ne soit arrivé vivant sur la plage.

ALONZO.

Non, non, il n’est plus.

SÉBASTIEN.

Seigneur, n’accusez que vous-même de cette grande perte, vous qui n’avez pas voulu honorer l’Europe du don de votre fille, et qui avez préféré la perdre en la livrant à un Africain : maintenant, la voilà bannie de vos regards, et vous n’avez que trop de sujets de larmes.

ALONZO.

Taisez-vous, de grâce !

SÉBASTIEN.

Nous nous sommes agenouillés devant vous ; nous vous avons tous importuné de nos prières ; cette beauté charmante elle-même hésita quelque temps entre son aversion et l’obéissance, incertaine du parti qu’elle prendrait. Je crains que nous n’ayons pour jamais perdu votre fils ; cette expédi-