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ACTE I, SCÈNE II.

Mais, en dépit de ce que je pus t’apprendre, nul être bon ne pouvait supporter le contact de ton ignoble nature. Ce fut donc justement que je t’emprisonnai dans ce roc, toi qui avais mérité plus que la prison.

CALIBAN.

Tu m’as appris l’usage de la parole ; le seul profit que j’en ai retiré, c’est que je puis te maudire : que la peste rouge te saisisse pour m’avoir enseigné ta langue !

PROSPÉRO.

Graine de sorcière, hors d’ici ! va nous chercher du bois ; et dépêche-toi, je te le conseille, pour que je te fasse faire autre chose. Tu hausses les épaules, perverse créature ! si tu fais avec négligence ou de mauvaise grâce ce que je te commande, je te torturerai de crampes, je mettrai des douleurs dans tous tes os, je te ferai rugir de manière à faire trembler les bêtes sauvages.

CALIBAN.

Non, non, je t’en conjure. {À part.) Il faut bien que j’obéisse : sa science a une telle puissance, qu’elle commanderait à Sétébos, le dieu de ma mère, et ferait de lui un vassal.

PROSPÉRO.

Ainsi, esclave ! va-t’en !

Caliban sort.


ARIEL revient, invisible, jouant du luth et chantant. FERDINAND le suit.


ARIEL, chante.

Le ciel est pur, le sable est doux ;
Venez fouler ce beau rivage !
Venez en rond vous joindre à nous ;
Les vents se taisent sur la plage.
Dansez, dansez, embrassez-vous !
Le ciel est pur, le sable est doux.
Entendez-vous ce bruit lointain ?
C’est du chien l’aboîment sonore.
Le coq a chanté ce matin ;
Sa voix a salué l’aurore.
Dansez, dansez, embrassez-vous !
Le ciel est pur, le sable est doux.

FERDINAND.

D’où viennent ces chants ? sont-ils dans l’air ou sortent-ils de la terre ? ils ont cessé de se faire entendre ; ils sont sans doute exécutés pour quelque dieu de cette île. J’étais assis sur le rivage, pleurant le naufrage du roi mon père, quand tout à coup cette musique a résonné auprès de moi sur les eaux, calmant tout à la fois et leur furie et ma douleur par son harmonie enchanteresse. Je l’ai suivie jusqu’ici, ou plutôt elle m’a attiré après elle ; mais elle a cessé. Non, la voilà qui recommence.