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ACTE I, SCÈNE II.

personne au milieu de quelles tortures je t’ai trouvé ; tes gémissements faisaient hurler les loups, et les ours furieux eux-mêmes en étaient émus de pitié ; c’était un vrai supplice de damnés. Sycorax ne pouvait le révoquer ; quand j’arrivai et que je t’entendis, ce fut par le pouvoir de ma science que l’arbre s’entr’ouvrit et te laissa libre.

ARIEL.

Maître, je te remercie.

PROSPÉRO.

Si tu renouvelles tes murmures, j’entr’ouvrirai un chêne, et t’enfoncerai dans ses noueuses entrailles, où je te laisserai hurler pendant douze hivers.

ARIEL.

Pardon, maître ; j’exécuterai tes commandements et remplirai avec zèle mes fonctions de génie.

PROSPÉRO.

Fais-le, et, dans deux jours, je te donnerai ta liberté.

ARIEL.

Ô mon noble maître ! que faut-il que je fasse ? dis ! que faut-il que je fasse ?

PROSPÉRO.

Va, transforme-toi en nymphe de la mer ; visible à mes yeux seuls, sois invisible pour tout autre. Va te revêtir de cette forme, puis reviens ici ; dépêche-toi.

Ariel sort.
PROSPÉRO, continuant.

Éveille-toi, chère enfant, éveille-toi ! tu as bien dormi, éveille-toi.

MIRANDA.

L’étrangeté de votre récit a jeté sur moi je ne sais quelle pesanteur.

PROSPÉRO.

Il faut la dissiper, ma fille ; viens, allons voir Caliban, mon esclave, qui jamais ne nous donne une réponse bienveillante.

MIRANDA.

C’est un méchant ; je n’aime pas à le voir.

PROSPÉRO.

Tel qu’il est, nous ne pouvons nous passer de lui ; il allume notre feu, va nous chercher du bois, et nous rend d’utiles services. Holà ! esclave ! Caliban, motte de terre, parle.

CALIBAN, de l’intérieur.

Il y a encore assez de bois céans.

PROSPÉRO.

Viens, te dis-je ; j’ai d’autres occupations à te donner. Allons, tortue, veux-tu venir ?

Rentre ARIEL, en nymphe des eaux.
PROSPÉRO.

Superbe apparition ! Mon charmant Ariel, viens que je te parle à l’oreille.

ARIEL.

Seigneur, cela sera fait.

Il sort.