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Mme PAGE. Je ne saurais vous dire comment se nomme celui qui en a fait cadeau à mon mari. L’ami, comment s’appelle votre chevalier ?

ROBIN. Sir John Falstaff.

FORD. Sir John Falstaff !

Mme PAGE. Lui-même : je ne puis jamais retenir son nom ; il y a une si grande distance entre mon mari et lui ! Ainsi vous dites que votre femme est à la maison ?

FORD. Elle y est effectivement.

Mme PAGE. Avec votre permission, monsieur ; je suis impatiente de la voir.

Mme Page et Robin s’éloignent.

FORD. Page a-t-il encore sa cervelle ? a-t-il des yeux ? a-t-il l’usage de la pensée ? Sans doute, tout cela dort chez lui ; il n’en fait aucun usage. Parbleu ! ce petit muguet vous portera une lettre à vingt milles de distance, aussi aisément qu’un canon lancera un boulet à deux cents pas. Page sert lui-même les inclinations de sa femme ; il lui donne libre carrière, et lui fournit les moyens ; et la voilà maintenant qui se rend chez ma femme, et le page de Falstaff est avec elle ; il ne faut pas être sorcier pour deviner ce que cela veut dire : le page de Falstaff est avec elle ! Admirables complots ! les batteries sont dressées, et nos femmes révoltées se damnent de compagnie. C’est bien, je les prendrai en flagrant délit ; je torturerai ma femme, j’arracherai à l’hypocrite madame Page son voile de modestie empruntée, je signalerai Page pour un Actéon confiant et volontaire, et à ces mesures violentes tous mes voisins applaudiront, (On entend sonner dix heures.) L’horloge m’avertit qu’il est temps de commencer mes recherches ; elles ne seront pas infructueuses, et j’ai la certitude de trouver Falstaff ; au lieu de me railler, on m’approuvera ; car, aussi vrai que la terre est solide, Falstaff est maintenant chez moi : j’y vais.

Arrivent PAGE, CERVEAUVIDE, NIGAUDIN, L’HOTE DE LA JARRETIÈRE, SIR HUGUES EVANS, CAIUS et BARBET.

TOUS. Bonjour, monsieur Ford.

FORD. Bonne compagnie, sur ma foi. J’ai bonne chère au logis, je vous invite à venir dîner avec moi.

CERVEAUVIDE. Vous m’excuserez, monsieur Ford.

NIGAUDIN. Moi pareillement, monsieur. Nous avons promis de dîner avec miss Anna Page, et je ne voudrais pas, pour tout l’or du monde, lui manquer de parole.