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NOTICE SUR SHAKSPEARE. v cises, il est difficile de prononcer sur une question de cette gravité. Notre opinion, à nous, c’est que le plus ou moins de perfection de ces drames n’est point un critérion sûr pour leur assigner une date, soit fixe, soit relative. Les génies comme celui de Shakspeare n’ont pour ainsi dire point d’enfance : selon l’expression de Corneille, qui lui-même est un exemple frappant de cet éclatant privilège du génie, Leurs pareils à deux fois ne se font pas connaître, Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître. L’un des premiers débuts de Corneille ce fut le Cid ; ce premier chefd’œuvre, d’autres productions du même auteur l’ont parfois égalé, jamais surpassé. Pourquoi n’en serait-il pas de même de Shakspeare ? La classification chronologique des fables de la Fontaine est connue ; faites un choix si vous pouvez entre tous ces chefs-d’œuvre ; les premiers en date sont-ils inférieurs aux derniers ? Racine a-t-il jamais fait mieux qu’Andromaque ? on répond en citant Alexandre, et les Frères ennemis. Ces deux drames ne sont point des œuvres spontanées du génie de Racine ; ce sont des études sur Corneille. Androniaque est la première fille de sa pensée individuelle et intime, le premier enfant de son génie ; et voilà pourquoi elle est empreinte d’un cachet de perfection que Britannicus et Phèdre elle-même n’ont point surpassé. Shakspeare fut le créateur de son art ; il dut d’avance en asseoir les bases, en arrêter les proportions, en dessiner les contours ; cela fait, il se mit à l’œuvre avec une imagination vierge, que ne préoccupait point limitation des œuvres d’autrui. Qu’était-ce que ces œuvres ? Étaient-elles assez puissantes pour commander l’admiration du jeune Shakspeare ? Si son génie naissant eût admiré les productions de ses prédécesseurs, il aurait pu augmenter le nombre de ces hommes médiocres, il ne se fût jamais élevé au-dessus d’eux ; au contraire, l’admiration de Corneille était compatible avec la possession du génie le plus haut, des plus nobles facultés ; Racine put donc, sans déchoir, commencer par imiter Corneille ; puis, semblable au navigateur qui s’aperçoit qu’il a fait fausse route, il est naturel qu’il ait viré de bord, et tourné la proue de son poétique naa.