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LES APOCRYPHES.

déjà la bonne humeur qui anime la Sauvage apprivoisée et la Comédie des méprises. La sympathique figure de Hodge, ce vieux serviteur obstinément dévoué à la fortune de son maître, m’apparaît comme le type primitif de ce dévouement domestique qui doit trouver son incarnation définitive dans le vieil Adam de Comme il vous plaira.

Mais ce qui, pour moi, décèle ici l’inspiration de Shakespeare, c’est moins l’exécution du drame que la haute pensée qui y préside. Lord Cromwell n’est certes pas une grande œuvre, mais c’est assurément une noble action. C’est, ne l’oublions pas, un effort généreux pour réhabiliter publiquement une des plus illustres victimes de la tyrannie des Tudors.

Ce ministre plébéien, dégradé, déshonoré, torturé, condamné sans forme de procès par une commission de la Chambre des lords, décapité secrètement par un valet de bourreau en guenilles dans l’intérieur de la tour de Londres, cet hérétique voué à l’infamie, ce traître marqué d’une éternelle flétrissure, — le poëte le juge en dernier ressort et l’absout. Le poëte nous révèle d’un bout à l’autre cette vie ignominieusement tranchée d’un coup de hache, et nous oblige à l’admirer. Dans ce grand coupable, il nous fait voir un homme plein de dignité, de vertu, de conscience, le meilleur des amis, le plus respectueux des fils, le plus affectueux des pères. Il exalte la loyauté de ce félon. Dans ce damné, il nous montre un martyr. Sur ce front stigmatisé il pose une auréole.

Et quel moment le poëte choisit-il pour relever dans la vénération publique cette victime du bon plaisir des Tudors ? Le moment même où une Tudor règne toute puissante sur l’Angleterre ! Oui, notez-le bien, c’est sous la domination d’Élisabeth que le poëte dénonce ainsi l’iniquité de Henry VIII. c’est sous le despotisme de la fille qu’il flétrit ainsi la tyrannie du père !