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INTRODUCTION.

son. Michel balbutie qu’il croit l’avoir fait. Arden veut s’en assurer et court à la porte qu’il trouve fermée seulement au loquet ; tout en pestant contre la négligence du valet, il donne vite un tour de clef et pousse les verrous. Il n’est que temps : les assassins arrivent, trouvent porte close, et se retirent en maugréant. Arden est sauvé ! — L’effet de cette scène est saisissant. Rien n’est plus finement nuancé et plus réellement dramatique que l’anxiété de ce valet qui, dans l’attente du crime dont il est complice, passe successivement de la pitié à l’inquiétude, de l’inquiétude à la frayeur, et qui, dans le paroxysme de l’épouvante, finit par pousser un cri d’alarme et par appeler à son secours la victime même qu’il devait livrer aux assassins. Tout cet épisode est un chef-d’œuvre et de pensée et d’expression. L’idée ici est d’un maître, comme le style.

Quel est ce maître, voilà la question ?

Nous sommes ainsi amenés à rechercher quel peut être l’auteur d’Arden de Feversham. Dans cet ouvrage anonyme, que nous révèle l’in-quarto de 1592, et qui appartient certainement à l’époque primitive du théâtre anglais, on ne retrouve la manière d’aucun des écrivains en vogue avant 1592. Cette exécution fréquemment gauche et timide, mais dont la naïveté même fait souvent la grandeur, ne rappelle ni le procédé pédantesque de Green, ni la façon emphatique et outrée de Marlowe. De qui donc peut être Arden de Feversham ? Évidemment d’un écrivain encore inexpérimenté, mais profondément original.

En 1770, un libraire de Feversham, Édouard Jacob, a réimprimé cette pièce, sous le patronage d’une grande dame, lady Sondes, comme étant le premier essai de Shakespeare. L’assertion a paru audacieuse tout d’abord, elle a été vivement combattue, mais, en dépit des contradictions, elle a fini par rallier bon nombre d’adhérents parmi les critiques. La Revue d’Édimbourg, dans un article dont