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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

— Va, vilain, dit-elle, oses-tu parler de liberté, ni de ton affranchissement, toi qui as été si malheureux que de commettre un meurtre si lâche sur la fille d’un prince ? Va-t’en aux champs à ton labeur accoutumé, si ne veux expérimenter ce que vaut le courroux et d’un maître irrité, et d’une dame offensée.

Ayant si bien payé l’esclave, elle dresse un cercueil, et assemblant ses amis, et les principaux de la ville, vêtue de deuil, et toute éplorée, leur fit entendre que Tharsie était morte d’une douleur grave d’estomac, au village, et que l’ayant brûlée, selon la coutume, elle voulait lui dresser un tombeau, au lieu même où étaient les cendres de sa nourrice. Les Tharsiens pleurèrent et firent un grand deuil sur le trépas feint de la princesse de Tyr, et assistèrent aux obsèques, dressant un monument d’airain pour mémoire de leur affection envers le sang et face de leur bon ami Apollonie, et sur celui-ci, ils gravèrent ces mots :

En souvenance de la pucelle Tharsie, fille d’Apollonie tyrien, et reconnaissant les biens reçus du père, les citoyens de Tharse, à communs frais, et avec larmes, ont dressé ce tombeau.

S. P. Q. TH.

Or, Tharsie ne fut-elle guère longtemps sur mer, ni entre les mains de ces corsaires, qui ne gardaient guère leurs prisonniers, ains faisant argent de tout, et surgissant en la cité de Metelin, ils y vendirent Tharsie, mais à qui ? à un vil, sale et méchant maquereau, qui l’acheta, pour la voir très-belle de face, et ayant une si grave et courtoise contenance, et l’œil si gracieux, quoiqu’elle fût triste et éplorée, que chacun jetait son regard sur elle, par ainsi ce vilain homme faisait fort qu’elle servirait d’un bon et riche revenu à sa maison. Tant y a que Tharsie fit si bien