Page:Shakespeare, apocryphes - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1866, tome 2.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
409
CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

tâcherait de s’accommoder à leur fantaisie ; ce nonobstant s’aigrit-il contre le patron, et lui remontra qu’il n’y avait justice aucune que ce corps, qu’il avait recueilli, hébergé et avancé, servit de pâture aux poissons, et qu’il fût exposé à la merci des ondes. Mais à qui parlait-il ? à la nation la plus farouche et ennemie de douceur qui soit au monde, à un nautonier impitoyable, rogue et sans nul respect, et duquel il ne put tirer autre cas, sinon qu’il fallait que ce corps fût jeté en la mer, pour la conservation du reste de ce qui était en la galère. Ainsi cette résolution prise, Apollonie obtint qu’il ferait faire un cercueil tout sur l’heure, et qu’en celui-ci il enclorrait le corps de sa femme et le mettrait sur mer, afin que, poussé en quelque port, on lui fit le devoir requis de ses obsèques et funérailles. Le cercueil étant fait, et celui-ci ample et spacieux, on y mit la princesse, outrée et évanouie, vêtue royalement et parée comme appartenant à dame de telle maison ; et avec elle Apollonie mit une bonne somme de deniers pour les frais de son enterrement, quelque part que ce corps vint à aborder, et un cartel qui portait telle substance :

Quiconque voit ce corps étendu à l’envers,
Attendre la prison du tombeau et des vers
Le rongement hideux, qu’il aye souvenance
De sa condition et de sa décadence :
Qu’il prenne la moitié de ce trésor heureux,
Pour enterrer le corps, accablé par les dieux
Sur la mer écumeuse, et l’autre argent qui reste
Soit son bien, son salaire, et sa riche conquête.
Que s’il va déniant au mort ce sien devoir,
Et veut avarement tout le trésor avoir,
Qu’il meure malheureux sans que personne ait cure
De donner à ses os repos et sépulture.

Tout ceci bien ordonné, et le cercueil étant poissé, et dûment calfeutré, afin que l’eau y entrant, ne le fit enfon-