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INTRODUCTION.

zerain est au matin même du premier mai de sa jeunesse, déjà mûr pour les exploits et les vastes entreprises[1]. » Ainsi, tel est le culte du poëte pour les preux de Crécy et de Poitiers, qu’il met le soldat d’Azincourt à genoux devant leur tombe. C’est leur âme guerrière que doit invoquer Henri V. Il doit s’inspirer de leur esprit, revendiquer leurs droits, renouveler leurs hauts faits, reprendre leur politique. L’idée pour laquelle Henry doit s’armer, c’est l’idée même pour laquelle ceux-là ont lutté. Si jamais Henry fait dans Paris conquis son entrée triomphale, si jamais il greffe la fleur de lis des Valois au sceptre des Plantagenets, il aura été l’exécuteur testamentaire de ses ancêtres, il aura accompli leur volonté dernière.

Donc, Shakespeare ici l’avoue, si glorieux que soit Henry, il ne fait que continuer le tâche de ses devanciers. Azincourt n’est qu’une conclusion dont Crécy et Poitiers sont les prémisses. Cette victoire forme avec les deux autres une indivisible trilogie. Le 26 août 1346, — le 18 septembre 1356, — le 25 octobre 1415, voilà trois grandes journées inséparables. Est-il vraisemblable que Shakespeare, qui les associait si bien dans sa pensée, ait négligé de les associer dans son œuvre ? Il est certain, nous venons de le voir, que le poëte comprenait toute la grandeur de nette tragédie jouée au quatorzième siècle sur le terre de France. Il reconnaissait toute la richesse du scénario que lui offrait cette mémorable campagne qui ouvre la guerre de Cent ans. Lui-même, il signale en vers éloquents une des plus belles scènes de cette épopée guerrière, cet incident fameux que raconte si bien Froissard et qui nous montre le roi Édouard campé sur les hauteurs de Crécy et refusant stoïquement de secourir son fils, le prince Noir, pour le forcer à l’héroïsme. Dans cette première invasion de la France par

  1. Henry V, sc. ii.