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SCÈNE XII.

philippe.

Malheur !

le roi jean.

— Réveille ton énergie défaillante, et interroge — la substance même de la frayeur — qui fait sur ton visage cette impression spectrale : — qu’y a-t-il ?

philippe.

Un essaim d’affreux corbeaux — croassent et planent au-dessus des têtes de nos soldats ; — ils sont rangés en triangles et en carrés, — suivant l’alignement même de nos troupes ; — à leur apparition est survenu ce brouillard soudain — qui vient de voiler le parquet aérien du ciel, — se et de faire à midi une nuit contre nature — sur le monde tremblant et épouvanté. — Bref, nos soldats ont laissé tomber leurs armes, — et demeurent comme métamorphosés en statues, — blêmes et pâles, se regardant d’un œil hagard.

LE ROI JEAN, à part.

— Oui, je me rappelle maintenant la prophétie, — mais je ne dois pas donner accès à la frayeur.

À Philippe.

— Retourne rendre le courage à ces âmes timorées, — Dis-leur que les corbeaux, les voyant sous les armes, — voyant leur masse profonde opposée à une poignée d’hommes affamés, — viennent uniquement pour dîner de leur besogne — et pour se repaître de la charogne qu’ils vont abattre. — En effet, dès qu’ils aperçoivent un cheval qui tombe pour mourir, — bien qu’il ne soit pas encore mort, les oiseaux de proie — s’apostent pour guetter le départ de sa vie ; — ainsi ces corbeaux planent à l’affût des cadavres — de ces pauvres Anglais qui sont condamnés à mourir. — Et, s’ils nous jettent ces cris, — c’est pour réclamer la proie que nous devons tuer pour eux. — Va, ranime mes soldats, — fais sonner les trompettes, et expédie sur-le-champ — cette petite mission d’une ruse bien innocente.

Sort Philippe.