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INTRODUCTION.

l’énumération des œuvres de Shakespeare qu’il publia en 1598 ? Convenez que cela n’est guère vraisemblable. D’ailleurs, l’hypothèse si hasardeuse de M. Knight est complètement superflue. Parce que Périclès est une création du jeune Shakespeare, il ne s’ensuit pas nécessairement que Périclès a dû être joué dans la jeunesse de Shakespeare. Sans chercher très-loin, je pourrais vous fournir la preuve qu’il peut y avoir un bien long intervalle entre la conception et la publication d’un ouvrage. Je connais depuis 1839 les quatre premiers actes d’un drame intitulé, je crois, les Jumeaux, qui attend encore son dénomment au fond de certain portefeuille. Une raison quelconque a ajourné jusqu’ici la terminaison de cette œuvre qui, commencée dans la seconde manière de l’auteur, sera nécessairement achevée dans la troisième. Si j’insiste sur ce fait, peut-être un peu intime, c’est qu’il contient justement l’explication qu’a vainement cherchée M. Knight. Pour un motif quelconque, peut-être un caprice, peut-être un empêchement, ce Périclès, conçu par le tout jeune Shakespeare, est demeuré inachevé pendant de longues années. Ce n’est qu’au dix septième siècle que le poëte a pu remanier et finir la pièce ébauchée vraisemblablement avant 1590. Et voilà comment cette création de l’adolescent sublime a pu ne voir le jour qu’en 1608, et voilà comment s’expliquent tout naturellement ces singuliers disparates de style qui nous frappaient tout à l’heure, et voilà pourquoi ce Périclès, commencé dans la première manière du maître, a pu n’être achevé que dans la seconde.

Admis désormais par l’unanimité des critiques dans le théâtre authentique de Shakespeare, Périclès doit y être considéré comme une intéressante exception. On sent que le poète novice, qui a conçu cette œuvre inégale, est lui-même à l’aurore de la vie. Les réflexions radieuses de l’illusion dorent pour lui les choses d’ici-bas. L’expérience ne