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LES APOCRYPHES.

Si je ne me trompe, nous devons à Shakespeare cet admirable prélude où la fête nuptiale de Thésée se heurte à la douleur des trois reines dont Créon a tué les époux. C’est par un contraste tout shakespearien que sont mis face à face ces deux cortéges si diversement majestueux, l’un guidé par l’hymen, l’autre mené par le deuil, l’un, avec ses chants d’allégresse et ses joyeux épithalames, l’autre, avec ses plaintes déchirantes et ses nénies funèbres, l’un, couronné de roses, l’autre, couronné de cendre. Magnifique rapprochement qui donne au mariage l’éternelle réplique du veuvage et qui symbolise l’inévitable croisement de la vie avec la mort !

C’est à Shakespeare également que nous devons tous les nobles tableaux qui se succèdent dans le premier acte : Hippolyte sacrifiant son bonheur au malheur des trois augustes suppliantes et décidant Thésée à la quitter pour aller châtier Créon, — Palémon et Arcite se déterminant par patriotisme à combattre pour leur oncle Créon qu’ils détestent et qu’ils méprisent, — Pirithoüs faisant ses adieux à Émilie et à Hippolyte pour aller rejoindre son frère d’armes Thésée, — puis les deux armées s’entrechoquant sous les murs de Thèbes, dans cette décisive lutte où Céron est tué et où Palémon et Arcite sont faits prisonniers, enfin les trois veuves ensevelissant pieusement les chers cadavres qui sont pour elles les trophées de la victoire.

Avec le second acte commence la tâche de Fletcher.

C’est Fletcher qui nous décrit successivement la brouille subite des deux amis prisonniers à l’apparition d’Émilie, — la mise en liberté d’Arcite à la sollicitation de Pirithoüs, — l’évasion de Palémon à qui la fille du geôlier donne la clef des champs, — le triomphe d’Arcite dans les joutes publiques et son admission au service d’Émilie.

Ici, au commencement du troisième acte, Shakespeare reprend la plume pour une scène unique et nous présente les deux rivaux, face à face, dans la forêt ; il nous montre