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LES APOCRYPHES.

il rappelle, à l’appui de son assertion, la haute antiquité de cet ouvrage qui a été enregistré, puis publié sans nom d’auteur et joué par des théâtres rivaux de celui de Shakespeare : « l’allure emphatique du vers, l’ensemble de la composition, son analogie avec les drames primitifs de la scène britannique, la différence de style, tout prouve avec une force irrésistible que Titus a été par erreur imputé à Shakespeare. » Au commencement de ce siècle, la sentence de Malone est acceptée sans réserve par la critique anglaise. Chalmers adhère à l’arrêt ; Hazlitt le consacre de sa glose, ne voulant voir dans Titus « qu’une accumulation d’horreurs physiques où la puissance manifestée par le poëte est hors de proportion avec la répulsion provoquée par le sujet. »

Cependant des protestations arrivent d’Allemagne contre ce verdict unanime des commentateurs anglais. Schlegel leur reproche hautement d’avoir une opinion préconçue et de ne pas tenir compte des faits qui militent contre cette opinion. Il leur rappelle que Titus Andronicus est nommé, parmi les ouvrages authentiques de Shakespeare, entre Richard III et Roméo et Juliette, par Meres, un contemporain et un admirateur de Shakespeare, dans un livre publié à Londres en 1598, Wit’s Commonwealth ; il leur fait remarquer que Titus a été publié dans l’in-folio de 1623 par les éditeurs Heminge et Condell. Quels arguments pourraient prévaloir contre de pareils témoignages ? Schlegel admet les défauts d’un ouvrage « conçu sur une fausse idée du tragique, » mais aussi il n’hésite pas à admirer « nombre de beaux vers, d’images hardies, de traits caractéristiques qui trahissent la conception particulière de Shakespeare, » et il entend distinctement gronder dans les imprécations de Titus la douleur colossale du roi Lear. Selon lui, Titus Andronicus doit être considéré comme le premier essai du jeune Shakespeare. Qu’importe la faiblesse de ce début ! « Rome en a-t-elle moins conquis le