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LES APOCRYPHES.

bienvenus. Mais quoi que vous fassiez, achetez. La critique ne suffit pas à faire aller le commerce ou marcher les ressorts. Fussiez-vous un magistrat de l’esprit, siégeant sur la scène à Blackfriars ou au Cockpit pour juger les pièces journellement représentées, sachez que ces pièces-ci ont déjà subi leur procès, qu’elles ont gagné dans tous les appels, et qu’elles paraissent aujourd’hui acquittées par arrêt de la cour et non en vertu de lettres de recommandation vénales.

Il eût été, nous en convenus, fort à désirer que l’auteur lui-même eût vécu pour éditer et surveiller ses propres écrits. Mais, puisqu’il en a été ordonné autrement, et que la mort lui a retiré ce droit, nous vous prions de ne pas être trop sévères pour ses amis qui ont entrepris la tâche laborieuse et pénible de les colliger et de les publier, — de les publier, alors que déjà vous étiez abusés par diverses copies volées ou subreptices, mutilées et défigurées par les fraudes et les larcins des imposteurs injurieux qui les ont mises au jour. Ces mêmes ouvrages sont maintenant offerts à votre examen, assainis et parfaits dans tous leurs membres ; ils vous sont présentés, ainsi que tous les autres, dans l’intégrité absolue où l’auteur les a conçus. Celui-ci, étant un heureux imitateur de la nature, en était aussi un fort gracieux interprète. Son esprit et sa main allaient de pair ; et ce qu’il pensait, il l’exprimait avec une aisance telle que c’est à peine si nous avons reçu de lui une rature dans ses papiers. Mais ce n’est pas à nous de le louer, — à nous qui ne faisons que réunir ses œuvres et vous les offrir ; c’est il vous, qui le lisez. Et nous espérons, pour vos capacités diverses, que vous trouverez dans cet auteur de quoi vous attirer et vous retenir : car son esprit ne peut pas plus être dissimulé que perdu. Lisez-le donc, et encore, et encore. Et si alors vous ne l’aimez pas, c’est qu’assurément vous courez le risque manifeste de ne pas le comprendre. Et alors nous vous renvoyons à d’autres de ses amis qui pourront être vos guides, en cas de besoin ; si vous n’avez pas besoin d’eux, c’est que vous pouvez diriger et vous-mêmes et les autres. Et tels sont les lecteurs que nous lui souhaitons.

John Héminge,
Henry Condell.