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le Scepticisme si loin qu’on voudra[1] ; qu’on aille jusqu’à douter de l’existence

  1. « À quoi bon me prescrire des régles de conduite, dira peut-être un Pirrhonien, si je ne suis pas sûr de la succession de mon existence. Peut-on me démontrer quelque chose pour l’avenir, sans supposer que je continue d’être moy ? Or c’est ce que je nie. Moy qui pense à present, est-ce moy qui pensoit il y a quatre jours ? Le souvenir est la seule preuve que j’en aie. Mais cent fois, j’ai crû me souvenir de ce que je n’avois jamais pensé : j’ai pris pour fait constant ce que j’avois rêvé : que sçais-je encore si j’avois rêvé ? Me l’a-t’on dit ? d’où cela me vient-il ? l’ai-je rêvé ; ce sont des discours que je tiens & que j’entends tous les jours : quelle certitude ai-je donc de mon identité ? je pense, donc je suis. Cela est vrai. J’ai pensé, donc j’étois. C’est supposer ce qui est en question. Vous étiez sans doute, si vous avez pensé ; mais quelle démonstration avez-vous, que vous ayez pensé ? … aucune, il faut en convenir » : cependant on agit ; on se pourvoit, comme si rien n’étoit plus vrai : le Pirrhonien même laisse ces subtilités à la porte de l’école & fuit le train commun. S’il perd au jeu ; il paye comme si c’étoit lui qui eût perdu. Sans avoir plus de foi à ses raisonnemens que lui, je tiendrai donc pour assuré que j’étois, que je suis & que je continuerai d’étre moy ; & conséquemment qu’il est possible de me démontrer quel je dois être pour mon bonheur.