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Nous observerons seulement, que ce moyen nous faisant remarquer une si grande diversité dans les choses, nous ne pouvons jamais dire quelle est la nature intrinsèque d’un objet ; mais seulement quel il paraît, par rapport à cette institution, à cette loi, à cette coutume, et à quelqu’un des chefs que nous avons expliqués. Ainsi ce moyen nous oblige encore à ne rien définir sur la nature des objets extérieurs ? Voilà ce que c’est que les dix moyens qui nous conduisent à l’Époque.

Chap. XV. De cinq autres Moyens de l’Époque.

Les nouveaux sceptiques nous ont encore cinq moyens d’Époque : le premier est pris de la contrariété ; le second jette le dogmatique dans l’infini ; le troisième est tiré de la relation ; la quatrième, qu’on peut appeler hypothétique, est pris de quelque supposition ; le cinquième est le Diallèle, qui fait voir que le dogmatique prouve souvent deux choses également incertaines l’une par l’autre réciproquement. (C’est le cercle vicieux.)

I. Le premier moyen pris de la contrariété, est celui, par lequel nous trouvons quelque diversité ou contrariété de sentiments, qui n’a point été encore jugée, soit dans l’usage ordinaire de la vie, soit parmi les philosophes ; à cause de laquelle contrariété, ne pouvant ni approuver rien, ni le désapprouver, nous nous trouvons réduits à l’Époque.

II. Le second moyen, qui jette le dogmatique dans le progrès à l’infini, est un moyen, suivant lequel nous disons que ce qu’on apporte pour appuyer une proposition, a besoin d’une seconde preuve, et celle-ci d’une autre, et ainsi de suite à l’infini. Tellement que comme dans cette suite de preuves infinies, nous ne saurions trouver un commencement ou un principe d’assertion, l’Époque se présente tout naturellement (comme une conséquence d’une incertitude si incurable.)

III. Le troisième, qui se prend de la relation, est le même, que nous avons expliqué ci-dessus, suivant lequel nous pouvons dire qu’un objet, nous paraît tel ou tel par rapport à celui qui en juge, et aux choses, qui par une suite nécessaire entrent en considération avec cet objet : mais nous nous abstenons de juger, quel il peut être de sa nature.

IV. Le quatrième ; qui est pris de quelque supposition, a lieu, lorsque les dogmatiques voyant qu’on les réduit au progrès à l’infini, supposent pour principe quelque chose, qu’ils ne prouvent point ; mais qu’ils veulent qu’on leur accorde tout simplement et sans démonstration.

V. Le cinquième, qui est le Diallèle ou le moyen alternatif, est celui par lequel nous faisons voir qu’une preuve, dont on doit se servir pour prouver une chose, qui est en question, a besoin elle même d’être prouvée par cette chose qui est en question. D’où il s’enfuit qu’aucune de ces deux choses ne pouvant être prise pour prouver l’autre, (parce qu’elles sont également incertaines toutes deux) nous devons prendre le parti de l’Époque. Nous ferons voir maintenant en peu de mots, que quelque question que ce soit, se peut réduire à ces cinq moyens.

Quelque chose que l’on puisse proposer, est ou sensible, ou intelligible : mais, quelle qu’elle soit, il y aura toujours à l’égard de la question que l’on proposera, de la contrariété dans les opinions. Car les uns disent qu’il n’y a que les choses sensibles qui soient vraies : les autres qu’il n’y a que les choses intelligibles qui le soient : et d’autres qu’il y a quelques choses sensibles, et quelques choses intelligibles, qui sont vraies.

Dira-t-on que cette contrariété est impossible à juger, ou qu’elle peut être jugée ? Si on dit qu’elle est impossible à juger, on nous accordera que nous devons nous abstenir de juger.