Page:Sevestre - Cyranette, 1920.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
CYRANETTE

la joue dont M. le curé, en pareille occurrence, ne manque jamais de la gratifier affectueusement.

Mais celui-ci, une fois de plus, paraît penaud.

— À la gare ?

— Mais oui ! dit Liette. Devinez ce qui nous y attire, monsieur le curé ?… Je vous le donne en mille.

Mme Daliot, d’un signe, fait comprendre à la bavarde qu’elle aussi voudrait bien pouvoir placer un mot.

— Ne cherchez pas, monsieur le curé. Il s’agit d’un passage de soldats anglais. Un détachement d’artillerie lourde à destination de l’Italie.

— Première nouvelle ! concède l’abbé Divoire… Eh bien, mes coquines, dit-il aux jeunes filles, en voilà une affaire !… Et moi qui n’avais pas l’air de m’en douter ! Allons, bonsoir ! Je me sauve ! Je m’en voudrais trop de vous faire manquer une si belle occasion.

— Permettez ! intervient M. Daliot. Rien ne presse et je ne sais où ma femme avait la tête de nous faire mettre à table si tôt.

— Mais, papa, murmure Juliette, leur train arrive à dix heures !

— Il n’en est que neuf, huit au soleil, et je parie que M. le curé n’a pas dîné.

— Je vous demande pardon, mon ami.

— Bien vrai, monsieur le curé ? insiste Mme Daliot.

— Puisque je vous l’assure… J’ai dîné sur le pouce dans l’idée de vous surprendre au dessert. Erreur n’est pas compte et j’arrive comme les carabiniers… Ai-je droit à une tasse ?

— Oui, monsieur le curé, acquiesce Liette. Parce que c’est vous…

Et elle court à la cuisine chercher la verseuse qui n’a guère dû refroidir, tant il fait chaud en cette belle soirée de juin 1917.

Soufflant, s’épongeant, M. le curé boude le fauteuil que lui propose M. Daliot.