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simple des gentlemen-farmers et où prient pour lui un père, une mère, des sœurs dont sa compagne eût été tout de suite aimée ?

Eussiez-vous, ô Cyranette, battu à son bras les vastes pacages ombragés de saules qui baignent dans une eau claire, et les landes qui fleurent le thym et la bruyère, et la sente discrète, bordée de chèvrefeuilles et d’églantiers, qui mène au petit oratoire caché dans la charmille comme un nid du bon Dieu ?

Non, non, rien de tout cela ne vous était destiné ! Tout ce bonheur revenait de droit à Liette, et c’est elle, elle seule, qui est à plaindre et à qui est dû le viatique des bonnes paroles.

Pourtant, ce viatique, M. le curé s’est efforcé de l’administrer aussi à Nise. C’était avant-hier soir. Afin de distraire leurs filles, M. et Mme Daliot les avaient emmenées au parc. L’abbé Divoire accompagnait ses amis. Après un bout de chemin, on prit place, vers le haut du jardin, sur deux bancs rustiques. Par ce beau clair d’étoiles, les cimes fantomales des grandes Alpes se devinaient dans la nuit veloutée, au delà et au-dessus des jeunes frondaisons qui s’abaissaient avec le terrain. Le banc où Liette était assise entre ses parents se trouvait quelque peu à l’écart de celui qu’occupaient Nise et l’abbé. À cette distance, sous l’ombre des arbres, on pouvait causer intimement.

M. le curé en profita pour dire à la jeune fille :

— Denise, ma chère enfant, pardonne-moi de paraphraser un mot de ce pauvre Robert, mais il est vrai que Dieu fait bien ce qu’il fait. Cette guerre est une immense calamité. Elle accumule les ruines, les deuils, les infortunes. Elle brise les cours des mères, des femmes et des fiancées. Mais tous ces maux ne nous en épargnent-ils pas de plus funestes encore ?

« … Je prêche, Denise ?… Peut-être. Pourtant, considère ton cas. Tu aimais — ne dis pas non,