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« Monsieur le curé,

« Nous avions ici un officier anglais, Mr. Robert Wellstone, lieutenant au 15e R.A.C., de qui je m’occupais tout spécialement. Il y a quinze jours, pendant un violent bombardement, un éclat d’obus l’avait atteint en pleine poitrine, et son état ne laissait guère d’espoir,

« Noble enfant ! Je m’étais attachée à lui comme à un fils d’élection, et il m’avait prise pour confidente, m’entretenant sans cesse de son pays, de sa famille et de sa fiancée, Mlle Juliette Daliot, de Chambéry, une de vos paroissiennes, m’a-t-il dit, et que vous êtes prié, en son nom, de bien vouloir avertir. J’aurais dû vous écrire plus tôt. Pourquoi comptais-je sur je ne sais quel miracle ? Ce miracle, la science ni Dieu ne l’ont produit. Depuis ce matin, tout est fini ; le lieutenant Wellstone n’est plus. Mais je ne connais rien de plus beau et de plus serein que sa mort.

« Magnifique officier, il avait fait supérieurement son devoir. Heureux de s’y être sacrifié de toute son âme et de tout son sang, le soldat repassait derrière l’homme. Et l’homme était aussi épris de rêve que le soldat l’était d’action. C’était un nostalgique, et quand vint son heure, elle ne pouvait être celle du commun. Cette vie qui lui échappait, il la ressaisissait mystiquement et, jusqu’au bout, le mirage de son pays et de ses amours allait faire sourire ses claires et graves prunelles plus qu’à demi éteintes, mais qui discernaient des choses et comme des présences que nous ne voyions pas. Dans notre triste ambulance, entre nos monts pâles et froids, si loin de sa petite ville natale et des siens, il se croyait en Angleterre, devant les gais horizons des South-Hams, dans le home cher à son cœur et où, bienheureux visionnaire, il s’imaginait rentrer avec une douce compagne qui eut été un peu comme son butin.

« En vérité, mourir ainsi n’est pas mourir.

« Dans l’arpent de terre étrangère où nous