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leurs obstinément d’aller subir les six semaines du traitement.

Et un jour enfin elle n’y tient plus. C’en est trop, et puisque Liette, par orgueil, s’entête dans son veto, Nise passera outre, prendra sur elle de griffonner clandestinement quelques lignes à celui dont sa sœur, décidément froissée, en vient à ne plus vouloir entendre parler. Ah ! ce n’est pas long et elle n’a pas besoin de se mettre en frais de style.

Elle est seule dans sa chambre. Elle peut y exhaler librement le cri de détresse qu’elle retient et qui l’étouffe. Personne, sauf Robert, ne l’entendra :

« Mon cher Robert,

« Que devenez-vous ?

« Pourquoi mes dernières lettres sont-elles demeurées sans réponse et où en est votre projet de vous arrêter à Chambéry en allant en Angleterre ?

« Je tremble qu’il ne vous soit arrivé quelque accident.

« De grâce, rassurez-moi ! Rendez-moi la vie !

« Votre pauvre petite.

« Liette. »

Mais des sanglots la secouent et elle doit s’enfouir le visage dans ses mains. Liette ! Toujours Liette ! Toujours ce nom d’emprunt, cette fausse signature qui lui coûte comme une apostasie ! Que ne donnerait-elle pas pour pouvoir mettre le sien au bas de cette page toute baignée de ses larmes !

Elle a de plus noirs pressentiments que M. le curé. Son imagination enfiévrée l’emporte vers le front austro-italien, vers ces cimes farouches des Dolomites que l’officier décrivait encore récemment et qu’elle se représente, telles qu’elles sont, avec leurs glaces et leurs neiges jadis vierges, aujourd’hui toutes éclaboussées d’un sang géné-