Page:Sevestre - Cyranette, 1920.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec un espoir toujours déçu, toujours renaissant, le cher visage qu’elle ne distingue pas. Le train prend la courbe proche de la gare, et on ne le voit plus, on ne l’entend plus, que Denise, l’œil fixe et le cerveau vide, reste là, immobile, tournée vers l’est, vers l’Alpe dont la barrière, cette fois encore, ne s’est pas ouverte devant celui qu’elle attend. Que devient-il dans la si proche et si lointaine Italie, qui pour lui n’est pas le royaume du soleil et de l’amour, mais le pays des neiges et de la mort ? Le revoir ou avoir de ses nouvelles est son unique pensée. Cette obsession la laisse indifférente à tout le reste. La vie sans lui n’est pas une vie. Petits calculs, petites occupations, petits soucis — tout y est si petit !

— Le revoir, ne serait-ce qu’une heure ! Après… eh bien ! c’est vrai, tout serait fini. Mais est-ce que je serais plus à plaindre que maintenant ? Et j’aurais été heureuse une heure !

Quelquefois, elle a maille à partir avec Liette, qui peut d’autant moins se passer d’elle qu’elle meurt elle-même d’ennui.

— Enfin, Nise, qu’est-ce que tu as ? Comme tu es étrange !… Si triste, si fuyante, on ne dirait plus toi !

— Mais non, je n’ai rien, prétend invariablement Nise.

— Mais si, insiste non moins invariablement Liette.

Et Liette en réfère à M. et à Mme Daliot, qu’alarment de plus en plus les longues rêveries de leur fille aînée, ses distractions continuelles et surtout l’espèce de langueur qui s’en mêle et qui les persuade que sa santé n’est pas ce qu’elle devrait être. Dans leur sollicitude inquiète, ils insistent pour la conduire au médecin. Elle résiste, puis cède. Pour comble de malchance, l’homme de l’art, prenant le change à son tour, parle de chloronémie et préconise une cure thermale et climatérique aux eaux de la Bauche, où elle refuse d’ail-