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à Robert, quand il lui eût inspiré de l’affection, comment, réduite à ses seuls moyens, eût-elle fait éclore l’amour dans le cœur d’un homme qui appréciait si franchement, si sévèrement même, son insignifiance et sa frivolité ?

« Vos lettres sont venues, toutes imprégnées de votre esprit, de votre âme et de votre cœur. Au travers d’elles, vous m’êtes apparue très différente du jugement que j’avais d’abord porté sur vous… » Qu’est-ce à dire, sinon que celle qu’il aimait n’était pas Liette, mais sa correspondante, sa vraie marraine, Nise, Nise qui ne lui écrivait rien qui ne vînt du cœur. ? C’est si clair, tellement probant qu’il faut toute la suffisance, toute la cécité morale de Liette pour ne pas s’en aviser et faire cesser le quiproquo.

Hélas, maintenant, il est trop tard ! Loin de rendre à Nise ce qui revient à Nise et de renoncer à Robert, Liette tient un langage nouveau et se montre positivement jalouse de ses « droits ». Elle exige les lettres de l’officier comme si c’était sa propriété exclusive. Elle les lit avant sa sœur, au lieu de lui laisser la mélancolique consolation d’en respirer le premier parfum. Et, sans rancune, sans colère, sans basse envie, Denise ne s’en ressent pas moins de ce bonheur qui s’épanouit à ses dépens.

Elle aime ! Et, qui mieux est, elle a réussi à se faire aimer. Mais l’aimé, mais l’amoureux, tout comme Liette, continue d’avoir un bandeau sur les yeux. Malheureuse Denise ! Elle n’est bien qu’une Cyranette, Et elle l’est à son corps défendant. Car l’abnégation est involontaire dans son cas. Elle ne se révolte pas, mais elle ne se résigne pas davantage. Si elle se sacrifie, c’est qu’elle ne peut faire autrement. Elle est comme ces pauvres filles qui prennent le voile et à qui il manque la vocation…