Page:Sevestre - Cyranette, 1920.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tel choc qu’il lui est impossible de ne pas accuser le coup.

— Qu’as-tu ? lui demande Liette surprise de ce désarroi.

— Mon rôle a été si ridicule ! dit la pauvre enfant. Jamais je n’oserai reparaître devant lui.

Liette se met à rire :

— Grande niaise ! Écoute ! J’ai réfléchi, moi, et j’ai trouvé une explication qui arrange tout. On lui dira que tu écrivais à ma place parce que je me voyais empêchée de tenir la plume. Ce ne sera que demi-mensonge puisque, comme par un fait exprès, je me suis coupé le pouce hier, ce qui me prive de l’usage de ma main. C’est même bien gênant pour me débarbouiller et me coiffer.

Denise ne trouve rien à répondre et va s’enfermer dans sa chambre. Elle n’en veut plus à cette écervelée de Liette — à quoi bon ? — mais elle ne peut s’empêcher de comparer leur sort respectif. Si chacune était servie selon son mérite, les rôles ne seraient-ils pas tout différents ? Quelle est la contribution réelle de Liette au sentiment de Robert ? Sans doute est-ce elle qui a fait le premier pas, et sa grâce ingénument provocante n’a pas été sans effet sur l’officier. Mais cet effet même était-il si favorable ? Robert, d’instinct, ne s’interdisait-il pas d’y céder ? Il se défiait de la sirène. Bien mieux : elle ne répondait nullement à son idéal. Les quinze premiers jours, n’hésitait-il pas à lui écrire et sa première carte n’était-elle pas comme un coup de sonde dans une âme énigmatique, troublante, où il cherchait le reflet de l’âme rêvée ? Pour le rassurer, il a fallu les lettres de Nise. Sans elle, qui s’est si bien acquittée de sa mission épistolaire, qui l’a tellement prise à cœur, que serait-il advenu d’un flirt voué, dès le début, à la méfiance et à l’indifférence ? Était-il viable seulement ? Après en avoir fait une amusette, Juliette s’en désintéressait. Et quand elle se fût montrée moins légère, quand elle se serait attachée