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VII

Depuis quelque temps, Denise ne dort guère. Cette nuit surtout, le chagrin, la fièvre, je ne sais quel tourment moral et physique la tiennent implacablement éveillée, Elle se tourne entre ses draps, elle essaie de compter jusqu’à mille, de fixer, dans le noir, le bout de son nez, pour arriver hypnotiquement au sommeil. La pensée de Robert, qui l’aime en croyant aimer Juliette, mais qu’elle ne peut tirer de son erreur, ne lui permet pas de repos. À intervalles plus ou moins éloignés, les quarts, les demies, les coups de l’heure lui parviennent de diverses horloges de la ville. Elle rêve parfois tout éveillée ; et c’est comme un délire :

— Robert ! Robert ! ne me viendrez-vous pas en aide ! Dès votre première entrevue avec Juliette, vous l’avez jugée. Vous m’avez découverte ensuite à travers mes lettres. Si intelligent, si clairvoyant, comment ne comprenez-vous pas que nos deux natures sont incompatibles et que vous attribuez à l’une ce qui revient à l’autre ? Devinez-moi ! Écoutez mon cœur qui en appelle à votre cœur. Je suis l’âme que vous aimez. N’aimez plus que mon âme !…

Et ses larmes coulent, et ses soupirs finiraient par réveiller Liette, si Liette ne dormait à poings fermés.

Le matin, pâle, les yeux battus, Denise se fait peur quand elle se regarde dans la glace. Il lui faut, pour reprendre figure, se baigner les tempes à l’eau froide, puis à l’air vif qui descend de la montagne. Cela lui réussit si bien qu’elle trouve le courage de tenir la promesse faite à sa sœur. Se souvenant qu’il est des fidélités qui sont des trahisons, elle s’arrangera d’ailleurs pour que sa