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« Considérez, chère Liette, en quelle lourde méprise m’induisaient naguère, à votre endroit, mes préventions britanniques ! La jeune fille française, que savais-je d’elle avant notre rencontre ? Qu’était-elle pour moi, quelle falote petite chose, quelle poupée mécanique ! Et de nous, Anglais, si positifs en affaires, si égoïstes même quand sont en jeu nos intérêts privés ou notre grandeur nationale, quelle singulière idée se font probablement encore la moyenne de vos compatriotes ? Parce que vous aimez à rire en France, que vous êtes liants et empressés, voilà nos puritains en émoi et qui vous tournent en marionnettes ! Parce que, au rebours de vous, nous sommes fort peu communicatifs, et toujours sur nos gardes avec l’étranger, c’est tout juste si l’on ne nous ignorait pas autant que des Indiens ou des Chinois. L’Anglais du home, combien de profanes pénètrent jusqu’à lui ? Et, après tout, si nous avons trop le respect de notre vie privée pour y introduire d’emblée tous venants, est-il bien sûr que les vôtres ne défendent pas aussi jalousement leur vraie intimité ?

« Ne vous lassez donc pas de m’entretenir de vous et de vos proches, petite sweetheart. Je vous en prie, parlez-moi longuement de votre bien-aimée famille, de vos amis, de votre bon M. le curé, en un mot de tout ce qui vous entoure et qui vous tient au cœur et dont je ne sais rien encore. Expliquez-moi comment on peut chez vous être à la fois si versatile et si constant, si timide et si audacieux, si faible et si fort. Dites-moi bien tout, ô mon âme, que je comprenne tout et mieux ! Je n’ai presque rien vu de votre Savoie, traversée de nuit, à toute vapeur. À peine en sais-je qu’elle a de belles montagnes et de beaux bois que Lamartine chanta. Dites ! Avez-vous de verts pacages, avec des saules qui baignent dans une eau claire, et de grands bœufs indolents, et d’agiles et hennissants poneys ? Voit-on luire, entre les longues herbes de vos ruisseaux, l’arc-en-ciel furtif des