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guerre ou plutôt à ses conséquences et à ses répercussions possibles. Féconde en biens comme en maux, je pense qu’elle ne tiendrait pas toutes ses promesses comme elle a tenu malheureusement ses pires menaces, si, entre autres compensations, elle ne vous valait pas, à vous Français, et à nous, Anglais, une plus subtile et plus saine compréhension de nos natures respectives. Une glorieuse « Entente », trempée dans le sang et au feu de tant de batailles, fait déjà communier les deux peuples par le cœur. Mais il en est des nations comme des ménages : pour que leurs alliances soient viables, il faut que le sentiment qui les a inspirées s’appuie sur une estime réciproque. Et comment s’estimer, même en s’aimant, si l’on ne se connaît pas ? Et comment se connaître, si l’on ne se voit pas, non comme nous montrent les apparences, mais comme nous sommes au fond ? Et comment aller au delà des apparences sans dissiper d’abord les nuées qui s’interposent entre l’œil et l’objectif ? Ces nuées, amoncelées comme à plaisir entre deux grands et nobles peuples, la tempête qui souffle sur l’Europe les déchire sans doute un peu plus chaque jour et les emporte lambeau par lambeau. Aux clartés crues du grand drame, les figures se silhouettent autrement qu’aux douteuses lumières d’écrivains sophistiques ou sarcastiques. Voyez Stendhal ! Qu’a-t-il voulu retenir de la joyeuse et loyale Angleterre étudiée objectivement ? Cant et bashfulness ! Hypocrisie de moralité ; timidité orgueilleuse et souffrante, voilà tout ! Notre pudeur ? Un vice ! Et une fausse honte notre discrétion ! J’espère que les Français ont une meilleure opinion de nous maintenant et que de telles billevesées ne suffisent plus à leur édification comme du temps de Stendhal. Mais leurs yeux se sont-ils ouverts tout à fait ? En sont-ils venus à nous bien voir et à nous bien comprendre ? Nous-mêmes, est-ce que nous vous comprenons bien ?