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brise lui apportent la fraîcheur exquise d’une ondée bienfaisante, les parfums de la campagne et de la montagne, et les cris joyeux d’une troupe d’enfants qui, l’averse passée, vont s’ébattre au parc. Un long moment, elle demeure immobile, regardant vers le pont du chemin de fer ou, plus haut, plus loin, vers les pentes ensoleillées du Nivolet, encore empanaché de nuages à sa cime. Puis, sa pensée vagabonde se calme et se précise : elle ouvre un tiroir et en tire une liasse de cartes et de lettres.

Ce tiroir est sa cachette ; cette liasse, son trésor, car toutes ces lettres sont de Robert. Progressivement, il s’y est départi de sa réserve. Dans les deux dernières en date, ce n’est plus le gentleman qui parle, mais l’homme. Ce sont celles-là surtout que Denise tient à relire, celles-là qui l’eut incitée hier à décliner l’invite de M. le curé et, ce matin, à se dérober aux suprêmes instances de son petit tyran de sœur. L’une est arrivée il y a trois jours. Elle n’est pas très longue, mais contient un aveu qui est très net. Elle dit :

« Chère Liette,

« Permettez, je vous prie, que je vous appelle, moi aussi, de ce délicieux diminutif. De filleul à marraine, la familiarité pourrait vous choquer. Mais moi, elle m’enhardit à vous ouvrir un cœur qu’il ne m’appartient plus de vous fermer davantage.

« Chère Liette, dès notre première et unique entrevue, si courte, hélas, j’ai éprouvé une joie qui était comme une crainte, une crainte qui était comme une joie. Comment vous dire ? Vous m’attiriez et vous me faisiez peur tout ensemble. Ne voyais-je pas en vous je ne sais quelle jolie petite chose frivole et fantasque ? Excusez ma franchise. Je ne devrais pas appuyer et je serais au désespoir de vous causer une peine même rétrospective, mais il est de fait qu’à ce moment-là je doutais un