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rendre à ton invite, ma chérie ? Réfléchis, mon écriture ne ressemble en rien à la tienne. À moins de la contrefaire — ce dont je suis incapable, tu as une si belle main ! — j’ahurirais Mr. Robert. Après avoir admiré la cursive, quel nez ne ferait-il pas, le pauvre, devant mes pattes de mouche ?

— Alors ?…

— Tu as commencé, ma fille. Eh bien, continue !

Denise proteste pour la forme. Sans grande conviction, elle se plaint du rôle que lui impose sa sœur. Ce rôle, au fond, elle ne demande pas mieux que de le remplir. La preuve en est que, le jour même, ayant capitulé sur toute la ligne, elle se substitue une fois de plus à Liette comme correspondante du beau lieutenant :

« Ma sympathie vous est tout acquise, monsieur Robert. Vous l’avez eue spontanément. Il ne dépend que de vous de la conserver. Je veux dire qu’elle ne demeurera pas en reste avec l’amitié que vous voudrez bien avoir pour moi.

« Vous qui faites la guerre, vous la trouvez fade. Moi qui ne la fais pas, je la trouve horrible et je me demande comment elle a jamais pu revêtir quelque attrait à vos yeux. Il est vrai que rien n’arrête ceux qui ont le cœur bien placé et il me semble que, si j’étais un homme, je ne me consolerais pas d’être à l’arrière tant que nous ne serons pas venus à bout de ces affreux Allemands. N’importe ! Quand je songe où vous êtes, — et, depuis que le plus fortuit des hasards a fait se croiser nos chemins, j’y songe souvent, croyez-moi, cher monsieur Robert, — je ne suis pas tranquille. On parle d’une nouvelle offensive italienne. Que d’inconnu et de danger encore ! Est-ce céder au pessimisme, est-ce manquer de confiance en notre cause, que d’aspirer comme vous, plus ardemment que vous, de toute mon âme, à la fin du cauchemar qui accable notre malheureuse humanité ?